Les Amis des Mées
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CHAPITRE 9

PLÉBISCITE DES 20 ET 21 DÉCEMBRE 1851.

Vue générale de Cayenne prise de la montagne Montabo
Vue générale de Cayenne
prise de la montagne Montabo

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Le Président avait voulu une énergique répression des troubles des provinces. Les départements où la démagogie s'était montrée menaçante, furent mis en état de siége le Jura, le Gard, l'Hérault, le Var. Un décret-loi, puisque le Président exerçait la dictature, ordonna que les individus reconnus coupables d'être affiliés aux sociétés secrètes seraient transportés dans une colonie pénitentiaire, à Cayenne. Le séjour de Paris fut rigoureusement interdit à tous les individus placés sous la surveillance. Plusieurs légions de la garde nationale; dont les membres avaient donné leurs armes, furent dissoutes.

Sitôt que la tranquillité fut bien rétablie dans la capitale, le Président adressa au peuple une nouvelle proclamation dans laquelle il disait:
«Les troubles sont apaisés. Quelle que soit la décision du peuple, la société est sauvée.
Cayenne
Cayenne.
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La première partie de ma tâche est accomplie : l'appel à la nation; pour terminer les luttes des partis, je ne faisais, je le savais, courir aucun risque sérieux à la tranquillité publique. Pourquoi le peuple se serait-il soulevé contre moi?         Si je ne possède plus votre confiance, si vos idées ont changé, il n'est pas besoin de faire couler un sang précieux; il suffit de déposer dans l'urne un vote contraire. Je respecterai toujours l'arrêt du peuple. Mais, tant que la nation n'aura pas parlé, je ne reculerai devant aucun effort, devant aucun sacrifice pour déjouer les tentatives des factieux. Cette tâche, d'ailleurs, m'est rendue facile.

D'un côté, l'on a vu combien il était insensé de lutter contre une armée unie par les liens de la discipline, animée par le sentiment de l'honneur militaire et par le dévouement à la patrie. D'un autre côté, l'attitude des habitants de Paris, la réprobation dont ils flétrissaient l'émeute, ont témoigné assez hautement pour qui se prononçait la capitale. Dans ces quartiers populeux où naguère l'insurrection se recrutait si vite parmi les ouvriers dociles à ses entraînements, l'anarchie, cette fois, n'a pu rencontrer qu'une répugnance profonde pour ses détestables excitations. Grâces en soient rendues à l'intelligente et patriotique population de Paris! Qu'elle se persuade de plus en plus que mon unique ambition est d'assurer le repos et la prospérité de la France. Qu'elle continue à prêter son concours à l'autorité, et bientôt le pays pourra accomplir, dans le calme, l'acte solennel qui doit inaugurer une ère nouvelle pour la République.» Le ministre de l'intérieur annonçait en même temps aux commissaires extraordinaires que le Président mettait fin à leur mission, aux préfets que l'autorité illimitée dont on les avait revêtus cessait.

Le plus grand nombre des représentants arrêtés à la mairie de la rue de Grenelle avaient été relâchés dès le 4 décembre. On en avait conduit beaucoup au Mont-Valérien, et plusieurs refusaient de profiter de la liberté qui leur était rendue. On fut même obligé de recourir à la ruse. On les fit monter en voiture et on les conduisit en plaine. Comme ils ne voulaient pas descendre, on leur dit : «On va dételer les chevaux et vous laisser là.» Ils descendirent et regagnèrent leur domicile. M Thiers, ramené chez lui sur parole, partit ensuite pour l'Allemagne et ne fut accompagné par un agent que sur sa demande expresse. Le général Cavaignac avait été transféré à Ham. Il devait bientôt épouser la fille d'un banquier, M. Odier. Mme Odier et sa fille purent visiter le général, et M. Odier remercia vivement le comte de Morny de sa bienveillance, dans plusieurs lettres, qui ont été rendues publiques. Le 16 décembre, le ministre de l'intérieur adressa à Mme Odier l'ordre de mise en liberté du général. Celui-ci refusa d'accepter cette liberté et écrivit au ministre qu'il resterait encore quelque temps à Ham pour protester contre la mesure dont il avait été l'objet. M. de Morny lui répondit par une lettre pleine de bon goût: «Général, dit-il, lorsque j'écris, c'est avec l'intention que mes lettres soient lues seulement par les personnes à qui elles sont adressées. En transmettant à Mme Odier l'ordre de votre mise en liberté, je n'ai eu d'autre but que d'être agréable à une famille que j'aime et que je respecte : je n'ai pas songé à autre chose. Si je me suis laissé aller à parler des sentiments de M. le Président de la République c'est que (et vous le savez mieux que personne, Général), si les grands actes politiques qui ont pour but le salut d'un pays, imposent parfois de dures nécessités, ils n'effacent pas les sentiments d'estime qu'on peut éprouver pour ses adversaires, et n'en interdisent pas l'expression. Vous comprenez donc que je ne réponde pas à ce que vous me faites l'honneur de me dire sur l'illégalité de votre arrestation, et que je me borne à me féliciter que la date du 19, choisie par vous, soit si rapprochée.»

Le 2 décembre, nous l'avons dit, le Président de la République n'avait pas voulu constituer un cabinet définitif, mais les éléments en étaient préparés, et le 3 décembre les noms des nouveaux ministres furent publiés. Le général Saint-Arnaud et le comte de Morny conservaient, l'un le ministère de la guerre, l'autre le ministère de l'intérieur, où il avait révélé de si hautes capacités. Les autres portefeuilles étaient ainsi distribués : celui de la justice à M. Rouher, celui des finances à M. Achille Fould, celui des travaux publics à M. Magne, du commerce à M. Lefebvre Duruflé, des affaires étrangères à M. le marquis Turgot, de la marine à M. Ducos, de l'instruction publique à M. Fortoul. Les ministres ne fonctionnèrent régulièrement qu'à partir du 5 décembre. Tant que l'agitation et l'insurrection durèrent, ils se tinrent au ministère de l'intérieur, où ils aidaient M. de Morny.

Dès le 3 décembre, avait été aussi formée une commission consultative, remplaçant l'Assemblée et le conseil d'État, pour éclairer le Président et discuter la Constitution nouvelle. Le prince Louis-Napoléon avait mis sur la liste de cette commission consultative plusieurs représentants sur le dévouement desquels il avait cru devoir compter, mais qui refusèrent de faire partie de la commission, entre autres l'ancien ministre Léon Faucher, qui signifia son refus d'une manière hautaine. La liste définitive des membres de cette commission ne fut arrêtée que le 13. On y remarquait principalement les noms d'Abattucci, d'Argout, gouverneur de la Banque, d'Audiffret, de Barthe, premier président de la cour des comptes, du général Baraguay-d'Hilliers, de Berger, préfet de la Seine, de Billault, de Bonjean, de Cambacérès, de Chaix-d'Est-Ange , de Drouyn de Lhuys, de Dupin, de Delangle, du général Lawœstine, de le Verrier, etc., etc. M. Baroche était vice-président de la commission consultative, dont Louis-Napoléon s'était réservé la présidence.

Le maréchal Vaillant.
Le maréchal Vaillant.
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Le Prince accorda de nombreuses récompenses aux troupes qui avaient combattu l'anarchie. Il décida que le service des troupes dans une localité troublée, serait considéré et compté comme campagne. Le 12 décembre il éleva à la dignité de maréchaux de France un vieux soldat de l'Empire, le général Harispe, et le général Vaillant. Le décret qui conférait au général Vaillant cette haute dignité était ainsi justifié : «Vu l'arrêté du 11 mai 1849 qui avait investi le général de division Vaillant des pouvoirs nécessaires pour prendre le commandement en chef du corps expéditionnaire de la Méditerranée;

Considérant que, par un sentiment de délicatesse, cet officier général s'est abstenu de ses pouvoirs pour s'attribuer officiellement les prérogatives du commandement en chef qui lui avait été conféré, mais que néanmoins il a dirigé notoirement toutes les opérations du siège de Rome et assuré le succès de l'expédition;

Considérant que le général de division Vaillant a un fait d'armes éclatant, qui, suivant l'esprit de la loi, le met en position d'être élevé à la dignité de maréchal de France;

Considérant enfin les éminents services rendus à l'armée par cet officier général pendant tout le cours de sa carrière militaire… décrète, etc…
»

Cette carrière était en effet des plus glorieuses. M. Vaillant, né à Dijon le 6 décembre 1790, fut admis à l'âge de dix-sept ans à l'Ecole polytechnique, passa ensuite à l'Ecole de Metz et prit une part active aux dernières campagnes de l'Empire. Il fit notamment la campagne de Russie, où il fut cité à l'ordre du jour. Au mois d'août 1813, il reçut la croix d'honneur, mais bientôt il tomba entre les mains de l'ennemi, et sa captivité ne cessa qu'en 1814. En 1815 il se distingua à Ligny et à Waterloo. Sous la Restauration il poursuivit avec zèle ses études sur son arme spéciale, le génie : il devint capitaine en 1816, chef de bataillon en 1826. Au siége d'Alger en 1830, ce fut lui qui dirigea le bombardement du château appelé Fort-de-l'Empereur, et dont la ruine amena la chute de la ville. Un biscaïen lui cassa la jambe, et M. Vaillant dut rentrer en France, où il fut nommé lieutenant-colonel. En 1832 il gagna le grade de colonel au siége d'Anvers. En 1834 le colonel Vaillant retourna en Algérie et couvrit ce pays de blockhaus et de remparts fortifiés. Maréchal de camp en 1838, il fut chargé du commandement de l'Eco1e polytechnique. En 1840 il fut appelé à diriger les travaux d'une partie des fortifications de Paris et devint lieutenant général en 1845. Nous avons dit avec quelle habileté et quels ménagements il dirigea le bombardement de Rome. Nous le retrouverons, sous l'Empire, à différents ministères, et surtout à l'état-major de l'armée d'Italie.

Cette récompense, accordée au général qui avait pris Rome, avait été fort applaudie par le clergé. Un décret qui restitua le Panthéon au culte catholique et lui rendit son nom de Sainte-Geneviève le satisfit plus encore. Mais cette dernière mesure ne fut pas populaire et le monument qu'on avait consacré aux grands hommes, n'en resta pas moins pour les Parisiens et pour les étrangers le Panthéon. Le gouvernement d'ailleurs ne voulut pas blesser ce sentiment et respecta l'inscription que le monument porte à son front majestueux : Aux grands hommes la patrie reconnaissante; inscription qui ne concorde plus avec la destination de l'édifice. Une circulaire ministérielle interdit enfin le travail dans les ateliers et les chantiers de l'Etat les dimanches et jours fériés. Le prince Louis-Napoléon qui avait à restaurer la société, comprenait qu'il fallait comme son oncle, faire un appel à la religion, dont l'influence fortifie l'autorité et assure l'ordre. Ce fut là le sentiment qui le dirigea dans ces différentes mesures. Le clergé l'encouragea et se prononça ouvertement en sa faveur : il comptait que le prince Louis-Napoléon lui rendrait son ancienne puissance. Mais le Prince montrera plus tard que s'il protégeait la religion, comme une force morale indispensable à l'humanité et à la société, il n'entendait pas rendre à ses ministres une influence exagérée, que les catholiques sincères ne réclament nullement.

Le Président avait d'abord fixé la date du 13 et du 14 décembre pour le vote qu'il avait provoqué. Il avait aussi décidé que le vote aurait lieu sur des registres avec signature. Mais ce mode de votation présentait de nombreux inconvénients, et le Prince auquel on fit de sérieuses objections, décida que le vote aurait lieu au scrutin secret; le jour de l'élection fut reculé au 20 décembre. Lorsqu'on prit cette décision, l'armée avait déjà voté comme on l'avait prescrit, et les soldats avaient déposé leur adhésion ou leur refus sur des registres qu'ils signaient. Le Président ordonna que les registres fussent brûlés pour ôter toute crainte au petit nombre de militaires qui auraient voté contre lui. Dans les mairies, les citoyens s'empressèrent d'aller chercher leurs cartes, et le nombre des votants fut plus grand qu'aux élections du 10 décembre 1848.

D'ailleurs le Président montrait comment il entendait user de son pouvoir. Il n'était pas de jour où le Moniteur, le seul journal intéressant de cette période, n'enregistrât des décrets ordonnant des améliorations de tout genre. Délivré de l'étreinte d'une Assemblée hostile, le ministère travaillait avec une ardeur infatigable à développer toutes les sources de la richesse publique. Ce n'était du reste qu'un faible commencement de cette série de mesures utiles, d'institutions charitables dont la succession ininterrompue composera presque toute l'histoire du règne de Napoléon III.

Distribution des cartes et des bulletins dans les mairies pour le vote du 20 décembre.
Distribution des cartes et des bulletins dans les mairies
pour le vote du 20 décembre.

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Ce fut le 20 et le 21 décembre que la France répondit à l'appel du Président. Celui-ci avait demandé la continuation de son pouvoir pour dix ans, et lui avait soumis les bases d'une Constitution nouvelle, empruntée à la Constitution du Consulat.

Le vote eut lieu partout avec le plus grand ordre : 7 439 216 bulletins portèrent le mot oui; 640 737 le mot non. On n'attendit pas le résultat du vote de quelques parties de l'Algérie et de quelques communes attardées. La majorité était trop grande pour laisser le moindre doute.


Le 31 décembre au soir, lorsque le dépouillement des votes fut terminé, la commission consultative se rendit au palais de l'Elysée à huit heures du soir. Le vice-président présenta au prince Louis-Napoléon le résultat du vote... «Jamais, lui dit-il, dans aucun pays, la volonté nationale s'est-elle aussi solennellement manifestée! Jamais gouvernement obtint-il un assentiment pareil, eut-il une base plus large, une origine plus légitime et plus digne du respect des peuples...»

Le Prince prit à son tour la parole «La France a répondu à l'appel loyal que je lui avais fait. Elle a compris que je n'étais sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m'absoudre, en justifiant un acte qui n'avait d'autre but que d'épargner à la France et à l'Europe peut-être des années de troubles et de malheurs.

Je vous remercie d'avoir constaté officiellement combien cette manifestation était nationale et spontanée. Si je me félicite de cette immense adhésion, ce n'est pas par orgueil, mais parce qu'elle me donne la force de parler et d'agir ainsi qu'il convient au chef d'une grande nation comme la nôtre. Je comprends toute la grandeur de ma mission nouvelle, je ne m'abuse pas sur ses graves difficultés. Mais, avec un cœur droit, avec le concours de tous les hommes de bien qui, ainsi que vous, m'éclaireront de leurs lumières et me soutiendront de leur patriotisme, avec le dévouement éprouvé de notre vaillante armée, enfin avec cette protection que demain je prierai solennellement le Ciel de m'accorder encore, j'espère me rendre digne de la confiance que le peuple continue de mettre en moi. J'espère assurer les destinées de la France en fondant des institutions qui répondent à la fois et aux instincts démocratiques de la nation et à ce désir exprimé universellement d'avoir désormais un pouvoir fort et respecté.
»

Une nouvelle période de notre histoire s'ouvrait, la présidence décennale, période qui ne durera qu'une année, mais qui se continuera par l'Empire.

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