La Légende des Pénitents |
Les rochers des Mées, par leur forme et leur alignement, n'ont pas manqué d'intriguer, de fasciner nos ancêtres qui trouvaient toujours une signification divine, voire satanique ou magique à tout ce qui était extraordinaire, à tout ce qu'ils ne pouvaient expliquer.
Des légendes ont dû naître, puis se transformer, se multiplier au gré de la transmission orale.
"D'étranges fables de métamorphose d'homme en pierre sont encore contées à la veillée par les paysans dont certains n'aiment guère passer, la nuit, dans le voisinage des Mées" |
nous affirme encore Marcel Brion en 1958. Les mythes ont la vie dure !... Mais quelle est donc l'origine de ces pénitents ?
La plus ancienne référence que nous ayons trouvé à ce jour, où les rochers portent le nom de "Pénitents" date de 1890 et les auteurs en sont Paul Arène et Albert Tournier:
"Voici Les Mées avec son étourdissante procession de moines pétrifiés" |
En 1896, le Dictionnaire Géographique de France mentionne:
"Aussi dans la région ces rochers sont-ils connus sous le nom populaire de Pénitents des Mées" |
En 1897, Eugène Plauchud publiait "Les Pénitents dei Mès" en provençal, avec traduction française. Cette histoire allait devenir la "véritable" légende, bien que de nombreuses autres versions aient été écrites. Nous en avons recensé 23, dont douze au moins ont un large fond commun avec la légende de de Plauchud, que voici:
Cela se passait au temps où les Sarrasins envahissaient notre pays. Ils s'étaient installés dans les collines à Peirempi entre Buech et Jabron et faisaient régner la terreur aux environs.
Quelques seigneurs du voisinage dont Bevons de Noyers et Rimbaud des Mées décidèrent d'attaquer le camp des Sarrasins. Ce qui fut fait par une nuit sans lune. La surprise et la détermination des seigneurs eurent raison des envahisseurs après une lutte courte mais intense. Au matin, après avoir nettoyé la place, chassé ou passé au fil de l'épée les ennemis, ils entrèrent dans le château. Quel ne fut pas leur étonnement lorsqu'ils trouvèrent dans une grande chambre : sept belles mauresques, effrayées qui demandaient grâce. Après consultation, il fut décidé que ce serait Rimbaud des Mées qui se chargerait de les expédier par radeau sur la Durance jusqu'en Arles où les autorités décideraient de leur sort. Chacun rentra chez soi. Rimbaud avec sept captives s'en retournait aux Mées. Chemin faisant le sang bouillant du guerrier raviva en lui des passions bien humaines et les grands yeux noirs et tristes des belles mauresques firent le reste. Prétextant d'une Durance un peu trop grosse, qu'il était dangereux de s'embarquer, il repoussa le départ de quelques jours, et enferma les prisonnières dans sa vaste demeure entre Dabisse et Oraison. Ce qui s'est passé dans cette maison, personne ne le saura jamais. Rimbaud, habituellement toujours parti pour la chasse ou en vadrouille, ne quittait plus la maison. Le long des chemins, à la fontaine, au four comme au lavoir, on ne parlait que du Rimbaud enfermé avec ses sarrasines. Le scandale que l'histoire commençait à faire dans le pays, décida le prieur de Paillerols à parler à Rimbaud. Ce dernier ne voulut rien entendre et le renvoya sans ménagement. Ce pauvre Rimbaud commençait à avoir toute la gente féminine contre lui ; elle ne comprenait pas ce qu'il pouvait bien trouver à ces femmes sauvages à la peau presque noire. Il décida une nuit de ramener ses mauresques dans son château des Mées. Cela le laissa tranquille quelques jours, le temps de s'apercevoir du changement ce qui ne tarda pas à se produire. La situation devint grave. Les femmes ne passaient plus devant le château sans se signer, et les réflexions allaient bon train. Le prieur de Paillerols revint à la charge, amenant cette fois, avec lui son collègue prieur de Saint-Michel. Rimbaud exaspéré leur répondit qu'ils feraient bien mieux d'aller chanter les vêpres et les mâtines plutôt que de s'occuper des affaires du château. Pour le coup, le prieur de Paillerols faillit s'étouffer de colère et brandit l'arme de l'excommunication. Rimbaud eût bien envie d'envoyer tous ces religieux dans la Durance, mais il se ravisa, comprit qu'il s'attaquait à plus fort que lui et qu'il n'arriverait plus à rien avec son peuple s'il continuait dans cette voie. Malgré sa peine, car il s'était attaché à ses mauresques, il céda. Le prieur, afin d'humilier Rimbaud et pour prendre à témoin toute la population, décida que le dimanche suivant, les sarrasines seraient conduites à la Durance devant tout le pays rassemblé. Le jour dit, tout le monde était en bordure du chemin et faisait une haie. Les moines de Paillerols et de Saint-Michel étaient un peu plus haut le long de la colline. Le portail du château s'ouvrit, les sept mauresques dans leurs vêtements scintillants, la démarche fière, sortirent. Personne ne respirait plus, on entendit même comme de profonds murmures d'admiration. Chez les moines, les curs battaient sous les scapulaires, leurs yeux étincelaient. Qu'allait-il arriver ? De l'autre côté de la Durance le grand Saint-Donat, l'ermite de Lure, surveillait ses ouailles et comprit ce qui allait se passer. Pour préserver du péché les moines, il les pétrifia tous sur place dans leur robe de bure. Le prieur a conservé sur sa poitrine sa croix de bois que l'on peut voir encore aujourd'hui accochée au rocher |