ƒLes Amis des Mées
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ROCHERS ET MYSTÈRES

Parmi les secrets que recèlent ces rochers, le plus énigmatique réside dans l'origine de deux morceaux de bois, que l'on appelle couramment "la croix des rochers". Ces deux morceaux de bois sont coincés dans une anfractuosité de la paroi, à une centaine de mètres de hauteur et à environ trente six mètres du sommet. Cet endroit est complètement inaccessible sans moyens sophistiqués. Déjà en 1636, c'est la plus ancienne mention que nous avons, Simon BARTEL signalait leur présence et leur mystère: "on ne comprend pas comment une force humaine ou une technique aurait pu la mettre en place dans un rocher aussi abrupt" (1)
(1) Historica et Chronologica Praesulum Sanctae Regiensis Ecclesia. Simon BARTEL. Aix 1636. Traduction Père René JURION

Jean-Jacques ESMIEU, presque deux cents ans plus tard est également intrigué par ce "monument singulier" comme il l'écrit, "on voit avec un sentiment d'étonnement mêlé d'effroi deux pièces de bois placées en sautoir et fixées au rocher par leurs extrémités. On remarque pourtant entr'elles une distance d'environ cinq décimètres." (2) Son explication est que ces pièces de bois ont été déposées là lorsque le sol affleurait cette cavité. Puis les eaux de ruissellement et celle de la Durance dégagent les rochers. Hypothèse peu probable en raison des milliers d'années nécessaire à ce dégagement.
(2) Notice de la Ville des Mées. J.J. ESMIEU, Digne 1803 p.456

Une légende veut que ce soit là, la croix du prieur des moines de Paillerols, restée sur sa poitrine lors de la pétrification de tous ces moines pêcheurs.... Certains voient en ce "monument" un symbole religieux, car de nombreuses croix sont sur des sommets ou en des sites remarquables. Mais si des hommes avaient voulu placer ce signe chrétien, n'auraient ils pas posé une vraie croix, avec deux morceaux de bois correctement assemblés et scellés??..

"En vain on a essayé depuis longtemps de faire détacher ces pièces en y tirant des milliers de coups de fusils à balles pour pouvoir connaître la nature du bois dont elle sont formées, jamais on n'a pu les abattre ( ... ) Ce qui surprend encore dans cette espèce de phénomène, c'est que ces pièces de bois aient pu résister pendant tant de siècles aux vers et à l'intempérie des saisons. Quelle est donc la nature de ce bois inaltérable et incorruptible, ou quel enduit a t on employé pour le rendre tel? " (3)
(3) J.J. ESMIEU p 457 458

LES MÉES - Albert ROBIDA - 1893
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Pourquoi ces bois sont-ils là haut? Quels hommes les ont placés? Sont-ils les restes d'une construction plus importante? Existait-il antérieurement une vire rocheuse permettant un accès plus aisé?

Depuis plusieurs siècles toutes ces questions sont sur les lèvres des Méens. Certains ont éprouvé un réel désir d'éclaircir le mystère, tel Yves THELENE conseiller municipal et correspondant local du journal "Le Provençal". Aussi, en cet été 1968, quand il lit dans son quotidien qu'une équipe d'alpinistes évolue dans les gorges du Verdon et a même vaincu la paroi du Grand Due, il entrevoit là une possibilité de répondre à certaines questions. Il connait, là bas, à Castellane, "un bon collègue" forestier Camille RAPHEL, une force de la nature qui n'ignore rien de ce qui se passe dans le Verdon, qui participe à toutes les expéditions, à tous les sauvetages. Il le contacte, lui décrit la croix dans les rochers et lui demande d'en parler aux alpinistes. Si vous demandez de parler à Camille RAPHEL (le conteur du Verdon) il s'en acquittera avec plaisir. Sa réponse est positive: "Pas de problème, je te les envoie!... "

Le Dimanche 25 août 1968, par une chaleur caniculaire, Yves THELENE voit arriver dans son jardin une voiture Volkswagen "Coccinelle" décapotable remplie de sacs, de cordes, de piolets et quatre ou cinq jeunes gens pleins de vie et de santé. Après des explications rapides, Patrick CORDIER et Claude DECK sont tout de suite enthousiasmés. Ils partent sur les rochers pour voir le site. Lothar MOCH, assuré par Patrick CORDIER descend en rappel dans la gorge proche de la croix. Mais le poudingue offre de mauvaises prises, il est peu propice à la fixation solide de pitons. Il ne peut pas aller très loin. Le temps leur manque pour s'approcher davantage, ils doivent rentrer à Paris. Cependant l'équipe a étudié les lieux, les possibilités et promet de revenir avec le matériel nécessaire dès que possible. Ces jeunes alpinistes étant pratiquement tous étudiants, c'est lors des vacances de Toussaint qu'ils fixent leur rendez-vous aux Mées: "Nous reviendrons et atteindrons la croix" telle est la conclusion de Patrick CORDIER.

Dessins et observations de Jean-Pierre PETIT. Archives Yves THELENE
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Ils n'étaient pas les seuls à s'intéresser à ces rochers... Le dimanche 27 octobre 1968, Jean-Pierre PETIT, Maurice PARODI, Michel ANSELME, Yves GUIARD, Daniel FAUDRY, Robert LAGIER et Madame PETIT, tous du Club Alpin d'Aix en Provence sont pris à leur tour de l'envie d'atteindre la croix. Yves THELENE leur rend visite. Jean-Pierre PETIT descend en rappel depuis le sommet du rocher, à la verticale de la croix. Il ne peut s'en approcher qu'à quelques deux ou trois mètres, le rocher faisant surplomb au dessus de l'anfractuosité. Il se contente de l'observer précisément. Revenus de leur expédition, le soir, les alpinistes, Yves THELENE et quelques méens se retrouvent au café "Casino". Jean Pierre PETIT commente, schéma à l'appui, (sur un bloc publicitaire MAZDA emprunté au bar) ses observations. "La croix est protégée du vent et de la pluie. Elle a l'air très ancienne, le bois doit être archi sec. Il est perforé de très nombreux trous de balles. Ce ne sont pas des planches. Ce ne sont pas des racines... " (4) Voilà donc les quelques impressions de celui qui a vu la croix de très près. C'est un premier pas vers des éclaircissements. Cette équipe pense aussi revenir prochainement pour toucher la croix.
(4) Notes de J. P. PETIT. Archives Yves THELENE.

La semaine suivante, c'est la Toussaint, et l'équipe de Patrick CORDIER revient pour "percer le secret de la croix des Pénitents ". (5) Les parisiens sont venus en nombre, il y a Patrick CORDIER, Patrice BODIN, Hélène BAILLIEU, Claude DECK, Sylvain JOUTY, Sylvie CORDIER, tous jeunes alpinistes confirmés. Le Comité des Fêtes des Mées, prend en charge les frais d'hébergement de l'équipe, car il faut recevoir dignement ces aventuriers de l'impossible. Après avoir préalablement conçu les plans d'approche pendant la journée du vendredi ler novembre, le samedi 2 au matin ils sont à pied d'oeuvre. A neuf heures ils commencent la descente dans la gorge proche de la croix et lorsqu'ils atteignent son niveau, Claude DECK crée en pitonnant une voie horizontale pour la rejoindre, tandis que Sylvain JOUTY, l'assure depuis la gorge, lui même assuré depuis le haut du rocher. Comme ils l'ont remarqué à leur première tentative, la nature de la roche ne se prête guère à ce genre de sport.
(5) Lettre de Patrick CORDIER à Yves THELENE du 15-10-1968. Archives Yves THELENE

LES ROCHERS DES MÉES
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La préparation est longue et pénible, les pitons ne tenant pas toujours du premier coup. Des postes de radio portatifs permettent aux alpinistes de communiquer entre eux et également avec des personnes observant depuis le bas et qui les guident dans leur progression. A 11 heures ils sont obligés de se replier, car la pluie tombe et rend toute opération très dangereuse. Patrick CORDIER demande à Emile GIRAUD, le garagiste du boulevard des Tilleuls de lui forger des pitons plus longs pour un meilleur ancrage. La pluie s'interrompt, ils recommencent et continuent de placer des pitons. Dans l'après-midi, la pluie reprend. Il est alors décidé de renvoyer au lendemain matin la prochaine tentative.

Dimanche 3 novembre au matin l'équipe se met en place, Patrice BODIN dans la gorge assure Patrick CORDIER qui retrouve ses pitons et progresse lentement. A 11 heures, ça y est, Patrick CORDIER touche la croix. Il y a au pied des rochers une foule nombreuse massée le long de la route. Elle manifeste ses encouragements et son admiration à l'équipe par des applaudissements soutenus, des ovations. Par son poste de radio portatif, Patrick CORDIER relate à chaud et sur place la description de cette croix qu'il peut détailler, qu'il peut toucher: "Deux poutres en bois s'entrecroisant à quelques 70 cm du fond de la niche, elles semblent reposer à même la paroi dans la roche, l'extrémité des pieds est d'ailleurs en biseau d'une manière franche et nette. Ce sont deux tiges droites de 3 à 4 mètres de long paraissant avoir appartenu à de jeunes arbres. Criblées de balles et de trous d'insectes les deux branches de la croix sont travaillées par l'eau dans la partie tendre du bois dont il ne reste que de rares vestiges. L'un de ces segments semble avoir éclaté et d'ailleurs a une forme semi-cylindrique dans le sens de la longueur. Rien ne relie ces deux poutres qui n'ont, très probablement, pas été usinées. La niche minée par les infiltrations aqueuses présente quant à elle, une sorte de galerie surplombant une ancienne plateforme à l'horizontale des rochers et formée d'agglomérations très dures pouvant correspondre à une ancienne vire taillée dans la roche " (6).
(6) Description CORDIER dans Le Méridional du 4.11.1968

Nous voudrions encore plus de détails, plus de précisions sur cette croix, nous voudrions percer son secret... Patrick CORDIER après un dernier regard quitte la croix en descendant en rappel jusqu'à la base du rocher où les curieux l'assaillent de questions. Puis toute la joyeuse équipe, les membres du Comité des Fêtes et quelques autres se retrouvent à l'hôtel BARRAS pour sabler le champagne et célébrer les vainqueurs de la croix.

En témoignage de cet exploit, Patrick CORDIER a ramené des photos et deux éclats prélevés sur ces morceaux de bois. Un pour lui-même et son équipe en souvenir et un autre qu'il offre à Yves THELENE. Ce dernier mesure 20 cm de longueur sur environ 2 cm de largeur, il est extrêmement léger (8,37 g). Malgré sa petite taille, il comporte quelques trous faits par des plombs de chasse dont certains sont encore prisonniers du bois. Un menuisier local en l'observant a dit : " C'est probablement du mélèze " (7) et Yves THELENE pense plutôt, que ce pourrait être du cade...(8)
(7) Dans Le Méridional du 4.11.1968
(8) Claude DECK nous précisera: "un peu plus tard, j'ai confié un des échantillons de la croix pour analyse et datation à un laboratoire spécialisé du CEA de Saclay. La directrice du laboratoire était intéressée par cette mystérieuse énigme, mais l'état et le volume insuffisant de l'échantillonnage n'ont pas permis une évaluation sérieuse".

    

En novembre 1968, la presse avait annoncé à l'avance l'expédition, puis largement relaté les péripéties de la progression vers la croix.

En juin 1994, cela était nettement plus discret, un simple petit article quelques jours après l'expédition, puis, plus jamais rien.

Avant cette expédition, dont on attendait des révélations, on pensait qu'en allant voir de tout près ce "singulier monument", on trouverait des indices, des explications... Mais non, rien de tangible ne permet d'éluder cette énigme. Peut être qu'un jour, si l'échantillon de bois est suffisant pour être soumis à des analyses précises, l'âge de cet arbre pourra être connu, mais les questions sur sa mise en place, sa fonction demeureront. Et comme depuis des siècles, les gens des Mées et ceux qui viendront au pied de ces rochers, en voyant là haut ces morceaux de bois, continueront de parler, de chercher, d'imaginer, de rêver... "La plus belle chose que nous puissions éprouver, c'est le mystère des choses".(9)
(9) Albert EINSTEIN. "Comment je vois le monde 1934.

"La Croix" photo Archives Yves THELENE
Le 10 juin 1994, les techniques, le matériel d'escalade ayant considérablement évolués, d'autres grimpeurs, dont Jean Pierre PETIT, se rendent assez rapidement et discrètement près de la croix, l'observent, la photographient, en prélèvent des échantillons... Mais aucune précision, rapport, conclusion, nous est parvenu de cette expédition et c'est fort regrettable. L'énigme subsiste entière.

Nous remercions vivement Yves THELENE pour sa collaboration et pour nous avoir permis d'utiliser ses archives personnelles.

Depuis le haut du rocher, la descente s'effectue dans la gorge à gauche de la croix. Au niveau de la croix, le passage dans la paroi est possible grâce à la pose des pitons.

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