Les Amis des Mées
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Les vers à soie dans les Alpes de Haute-Provence
et plus particulièrement aux Mées

Ver à soie sur une branche

Par Jean-Pierre PINATEL
avec la collaboration de toute l'équipe des "Amis des Mées"


SOMMAIRE

Origine du nom "MAGNAN"
De petits élevages
Rien avec peine
Un travail au féminin
Premiers documents
Un démarrage très lent
Eugène ROBERT, pionnier de la sériciculture bas-alpine
Une progression très modérée
Henri RAIBAUD-L'ANGE, un praticien
De dures saisons
Ce n'est pas encore l'engouement général
Expériences à Sainte-Tulle
Une année bonne, l'autre mauvaise
Quelques années de saines récoltes
Les maladies
À la Ferme-École de Paillerols
De curieux remèdes
Le procédé ONESTI
Louis PASTEUR à Paillerols
Une première nationale à Paillerols
Paillerols au cœur des expérimentations
La bonne graine de Paillerols
Louis PASTEUR - Henri RAIBAUD-L'ANGE, une coopération efficace
Le grainage à Paillerols
Technique de grainage
Renommée de la graine des Alpes
Madame RAIBAUD-L'ANGE
Les meilleures années de production de cocons
La production de graines
Le début du déclin
Distribution de primes
La station séricicole de Manosque
Le contrôle officiel des grainages
La soie artificielle
Les petits élevages familiaux
La machine de Léon GRANIER
Des graineurs parallèles
Un concours national
Les pesées officielles
Le travail à l'atelier JUGY
Les derniers moments
La fin d'une industrie

Dans les Alpes de Haute-Provence en général et en particulier aux Mées, qui était pourtant une des communes les plus importante pour la production de cocons, il y a peu de similitude avec ce qui se faisait dans les départements du Gard et de l'Ardèche où la sériciculture avait une importance capitale. Ni l'évolution, ni les chiffres, ni l'impact sur l'industrie locale ne sont comparables entre ces régions.

Mais aux Mées, les magnans ont eu quand même des heures de prospérité et de gloire comme nous allons le voir.

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ORIGINE DU NOM « MAGNAN »

Le nom de magnan, selon le Dr S. J. HONNORAT viendrait « de maniar ou magnar qui signifie manger, qualificatif qui convient parfaitement au ver à soie »
[1] S. J. HONNORAT Dictionnaire Provençal – Français ou dictionnaire de la langue d'Oc ancienne et moderne. REPOS – DIGNE – 1847

D'après un autre auteur, « il porte le nom de la première personne que je suppose en avoir élevé en Provence, d'autant mieux qu'il y a beaucoup de familles qui s'appellent MAGNAN dans cette province »
[2] M. DIOULOUFET – « Les Magnans » Poëmes en vers provençaux – Aix. A. PONTIER – Imprimeur 1819 – p 100.

ou pour d'autres cette dénomination viendrait du latin....

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DE PETITS ELEVAGES

Dans les Alpes de Haute-Provence, ce ne sont principalement que des petits élevages familiaux sauf quelques propriétaires qui pratiquent cela à une échelle un peu plus importante.

« Chaque chaumière a son atelier de vers a soie, que cet atelier est souvent contigu à la chambre à coucher du magnanier, quand cette chambre à coucher et la cuisine elle même ne servent pas d'atelier ou de complément à l'atelier »
[3] Eugène ROBERT – Etudes sur la muscardine faites à la magnanerie expérimentale de Sainte-Tulle en collaboration avec F. E. GUERIN-MENEVILLE – BARLATIER-FEISSAT et DEMONCHY – MARSEILLE – 1848

C'était le cas aux Mées, les petits élevages dominent, en 1868 sur deux cents sériciculteurs quatre seulement sont de grandes éducations.
La "magnanière" qu'elle soit une pièce récupérée pour cet usage ou un bâtiment construit spécialement à cet effet est toujours une dépendance soignée, bien entretenue le ver à soie est fragile « Es un fifi, amo d'estre trattat - Jusqu'a la fin coumo un enfant gastat »
(c'est un délicat, il aime d'être traité - Tout le temps comme un enfant gâté).
[4] M. DIOULOUFET – « Les Magnans » Poëmes en vers provençaux – Aix. A. PONTIER – Imprimeur 1819 – p 28.

Alors que dans les Cévennes, les meilleures années de production de cocons se situent entre 1850 et 1860, dans les Alpes de Haute-Provence où les hommes sont plus lents ou plus prudents à prendre de nouvelles habitudes les meilleurs chiffres seront atteint en 1886 avec 229 412 kg, aux Mées l'année record sera 1870 avec 30.000 kg de cocons.

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RIEN AVEC PEINE

Cet extrait d'un texte de Paul ARÈNE traduit bien l'esprit, l'atmosphère de nos petits élevages Bas-Alpins, élevages fragiles, conduits avec beaucoup de soins et de précautions mais vivant dans l'angoisse de ces maladies qui pouvaient tout détruire rapidement.
"Comme les vers à soie n'avaient pas réussi, la bonne Mme Peyrolles se trouvait par hasard d'assez méchante humeur, et M. Peyrolles, résigné, la laissait pousser ses "Avé Maria" sans trop rien dire.
- Dix livres de cocons ! soupirait Mme Peyrolles, pas même le prix de la graine; achetez-vous donc un châle avec ça !
- Que veux-tu, Ambroisine, tu te l'achèteras l'année prochaine. Douze mois sont vite passés.
- L'année prochaine, qui l'a vue ? Une chose en tout cas est certaine, c'est que je n'aurai pas encore le châle cette année-ci. Je peux chanter "Mon cœur soupire!..." J'avais pourtant bien compter sur ce châle. 
- Tant de peine ! Et pourquoi ? Pour rien. Voilà pourtant deux mois que nous nous exterminions, sur pied de nuit comme de jour, avec Scholastique à qui j'avais promis de donner mon vieux châle lorsque j'aurai mon châle neuf et qui, l'hiver prochain, pour la messe de sept heures, devra se contenter de sa pelisse d'indienne... D'abord, premier agrément les vers à soie s'étant trop préssé d'éclore, en avance d'une semaine, sans attendre que le vert eût poussé aux mûriers, il nous a fallu chaque matin, pour leur nourriture, ramasser des feuilles de ronces, le long des fossés, comme deux bohémiennes. J'en ai encore les doigts picotés... Et après leur second sommeil, quand tout à coup ils sont devenus tristes, qui est allé, au risque de se précipiter, cueillir dans les rochers du fort, la lavande et la marjolaine nécessaires aux fumigations ?... Et tant d'autres tracas encore !
... Enfin tout marchait bien. Alignées sur les étagères, mes cinquante cabanettes en belle bruyère de Lure n'attendaient plus que les cocons. Mes vers à soie achevaient de dormir des trois : roux comme l'or, gonflés, transparents et suant la soie. Déjà ils grimpaient le long des brindilles. Les plus braves filaient déjà, accrochant leur fil à droite, à gauche, quand est survenu cet orage. Alors, au premier coup de tonnerre, j'ai vu les pauvres bêtes redescendre et venir mourir su leur litière… Un désastre ! Scholastique pleurait, j'avais envie d'en faire autant
 ».
[5] Paul ARENE – (Sisteron 1843 – Antibes 1896) – Contes et nouvelles de Provence – « Les braves gens ».

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UN TRAVAIL FEMININ

L'éducation des vers incombait quasiment en totalité aux femmes de la maison.
« Filho es adounc lou temps doou fastigagi,
Que foou anar, venir et vaneguar ;
Leissas-m'un pau leis foulies et la danso,
La charadisso, eme lou calegnar,
Et de l'amour touto la maliganço.
Veilhares tard per faire vouestreis dounos
 ».
[6] M. DIOULOUFET – « Les Magnans » Poëmes en vers provençaux – Aix. A. PONTIER – Imprimeur 1819 – p 37.

(Fille c'est le temps de la fatigue,
Il faut aller, venir et se trémousser,
Laissez un peu les folies et la danse,
Le bavardage, la tendresse,
Et de l'amour toute la coquinerie.
Vous veillerez tard pour donner la feuille).

« Mais quand anas a la fueilho, filhetto,
Et qu'escalas au d'haut deis amouriers,
Poudès aussi far la toumbareletto,
Se risès troou, se fes quauqueis foulies;
Subrequetout s'avés à vouestre caire
Quauque jouvènt, bessai lou calegnaire,
Es dangeirous,... l'on poou faire un fau pas.
 »
[7] M. DIOULOUFET – « Les Magnans » Poëmes en vers provençaux – Aix. A. PONTIER – Imprimeur 1819 – p 39.

(Mais quand vous allez à la feuille, fillette,
Et que vous montez en haut des mûriers,
Vous pouvez aussi faire la culbute,
Si vous riez trop, si vous faites des folies ;
Surtout si vous avez à vos côtés
Quelque galant, peut-être votre amoureux,
C'est dangereux;... vous pouvez faire un faux pas).

Avec Frédéric MISTRAL aussi se sont des "magnanarelles" qui s'occupent des vers

« Cantas, cantas, magnanarello,
Que la culido es encantarello !
Galant soun li magnan e s'endormon di tres,
Lis amourié soun plen de fiho
Que lou bèu tèms escarrabiho,
Coume un voù de bloudis abiho
Que raubon sa melico i roumanin dòu gres.
En desfuiant vosti verguello,
Cantas, cantas magnanarello !
Mireio es a la fueio, un bèu matin de mai 
»
[8] Frédéric MISTRAL – Mireille – Chant II

(Chantez, chantez, magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants !
Beaux sont les vers à soie, et ils s'endorment du sommeil de leur troisième mue,
Les mûriers sont pleins de filles,
Que le beau temps rend alertes et gaies,
Telles qu'un essaim de blondes abeilles,
Qui dérobent leur miel aux romarins des champs pierreux,
En défeuillant vos rameaux,
Chantez, chantez, magnanarelles !
Mireille est à la feuille, un beau matin de mai ).

On disait aussi ce dicton

« Se li Pasco, li vendumi e li magnan
duravon tout l'an,
Noun i aurie léu
Ni fremo, ni ai, ni capelan
 »

(Si les Pâques, les vendanges et les vers a soie
duraient toute l'année,
il n'y aurait vite plus
ni femme, ni âne, ni curé)

Eugène ROBERT, lui aussi confie volontiers cette tâche aux dames, bien qu'il ne leur donne qu'un emploi subalterne :
« Les femmes, ces gracieux auxiliaires du magnanier, dont la patience et l'adresse conviennent si bien aux travaux minutieux de l'éducation des vers à soie, qui peuvent tant pour le succès et la propagation des nouvelles méthodes ».
[9] Eugène ROBERT dans le Journal de la Société d'Agriculture des B.-A. – REPOS – DIGNE - 1839

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PREMIERS DOCUMENTS

Nous n'avons trouvé que très peu de documents régionaux sur l'état de la sériciculture avant le XIXe siècle. Pourtant il y avait des mûriers et la soie était récoltée, surtout dans la partie sud du département. Mais il est très difficile d'avoir une idée précise sur les conditions d'élevage et la production de soie avant 1800.

A la fin du XVIIIe siècle quelques témoignages commencent à nous éclairer. Les deux passages suivants concernent la région de Manosque :
« Il y a quantité d'amandiers et de mûriers, on y élève beaucoup de vers à soie »
[10] M. DARLUC – Histoire Naturelle de Provence – Avignon – 1784 – Tome II

et « le mûrier blanc pour lequel on s'était passionné n'est plus si recherché, parce que les vers à soie réussissent rarement par l'impéritie de ceux qui les élèvent. Au lieu de négliger cet arbre qui vient très bien dans ce climat, ne vaudrait-il pas mieux s instruire de la bonne méthode d'élever les vers à soie »
[11] C. F. ACHARD Géographie de la Provence, du Comtat Venaissin – Aix – 1787

Au XVIIIe siècle dans la vallée de l'Ubaye à Jausiers il y a « un filadour ou manufacture, pour dévider et mouliner la soie (...) La soie qu'on y travaille vient du Piémont et après qu'elle est ouvrée, on la débite en France »
[12] Abbé ALBERT – « Histoire géographique naturelle ecclésiastique et civile du diocèse d'Embrun » (1783) cité dans « L'Industrie de la Soie dans la vallée de Barcelonnette au XVIIe et XIXe siècle » Jean GIRES – Bulletin de la Société Scientifique et Littéraire des Alpes de Haute-Provence – N° 289 – 290


La production départementale devait être faible, car la soie qui alimentait Jausiers, venait du Piémont, ou alors était-il plus facile et plus avantageux de faire venir cette marchandise d'Italie ?

En 1792 nous trouvons

« Le mûrier est encore un arbre précieux dans le département des Basses-Alpes. On le cultive avec soin jusqu'à ce qu'il ait entièrement pris sa croissance, ses première feuilles servent à élever des vers à soie. Son fruit se vend pour la nourriture des cochons et sa dernière feuille sert aux bestiaux. (…). Il y a beaucoup de mûriers dans la partie basse du département, on y élève beaucoup de vers à soie, cependant , on y voit aucune manufacture de bas et d'étoffes de soie, on n'y connaît guère plus les teinturiers. Tout ce que l'industrie peut produire à cet égard se vend soit pour Lyon soit pour le Languedoc. Les habitants de Barcelonnette, plus industrieux, ont formé à Jausiers un établissement assez considérable pour organiser les soies qui leur sont envoyées de Lyon ou du Piémont ».
[
[13] « Tableau général du département des B.-A. » Mémoire écrit par M. MARTIN en 1792 dans le Bulletin de la Société Scientifique et Littéraire des Basses-Alpes. N° 163 – 164 – 165.

Aux Mées la production de soie semble assez réduite. « Avant la révolution, quelques particuliers élevaient des vers a soie : ils retiraient de ce genre d'industrie un bénéfice dont ils ont été presqu'entièrement privé depuis.

On a même détruit beaucoup de mûriers dont la feuille servait de nourriture à ce précieux insecte. Mais ce genre d'industrie n'a jamais produit aux Mées au-delà de cinq quintaux de soie, qui sont réduits aujourd'hui à un
 »
[14] J. J. ESMIEU – Notice historique de la ville des Mées – J. A. FARJON – DIGNE – 1803 – p 76.
(à cette époque un quintal = 100 livres = environ 49 kg)

Si la récolte de soie semble peu importante avant la révolution, les mûriers paraissaient assez nombreux car « au commencement de la révolution on avait coupé grand nombre de mûriers ».
[15] Lettre du Maire des Mées SALVATOR au Préfet des Basses-Alpes, du 27 septembre 1820. A.D. 12 M art 15.

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UN DEMARRAGE TRES LENT

En 1820, la production nationale commence à augmenter, le maire des Mées rend compte au préfet de l'état de la sériciculture locale « La récolte de cocons qui se fait dans cette commune est annuellement peu de chose, attendu que les mûriers qui existaient il y a trente ans, ont été en grande partie coupés, la récolte de cette année a été de vingt quintaux de cocons, et c'est tout ce qu'on peut faire dans le païs en égard au nombre de mûriers existant. Cependant depuis cinq ou six ans que la soye promet un profit, il s'est planté dans la commune au moins deux mille mûriers, ce qui dans quelques années pourra augmenter à proportion la quantité de cocons.

Nous avions ici une fabrique où l'on filait la soye, mais depuis cinq ou six ans elle est fermée, et les particuliers qui s'adonnent à ce commerce, vendent leurs cocons ou à Sisteron ou à Forcalquier,... »
[16] Lettre du Maire des Mées SALVATOR au Préfet des Basses-Alpes, du 26 août 1820. A.D. 12 M art 15.

Dans le département, comme aux Mées, le démarrage de la sériciculture est très lent. Le Préfet des Basses-Alpes en envoyant au Ministre de l'Agriculture les chiffres de production de 1821 mentionne : « Le produit des vers à soie n'est pas œuvré dans le département, il est exporté dans ceux voisins, à Draguignan et à Beaucaire lors des foires ».
[17] A.D. 12 M art 15.
Lettre du Maire des Mées SALVATOR au Préfet des Basses-Alpes

Lettre du Maire des Mées SALVATOR au Préfet des Basses-Alpes, du 26 août 1820. A.D. 12 M art 15.
Cliquer sur la lettre pour la visualiser agrandie.


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EUGÈNE ROBERT, PIONNIER DE LA SERICICULTURE BAS-ALPINE

A Sainte-Tulle, dans le Sud du département, se trouve Eugène ROBERT, qui espère beaucoup de cette sériciculture renaissante (à cette époque E. ROBERT disait la moriculture). Il va essayer de toutes ses forces de la répandre autour de lui.

Les agriculteurs bas-alpins ne s'engagent pas volontiers dans l'aventure de la soie : « Il y a une apathie invincible pour le plus grand nombre et une défiance imaginaire pour quelques autres, pour tout ce qui n'est pas d'usage immémorial ou de routine traditionnelle qui s'opposent constamment au progrès » (...)

« Que les habitants de notre département y songent bien, les progrès qu'on n'invite pas sont une source de ruine et de misère pour ceux qui s'arrêtent en chemin »
[18] Eugène ROBERT dans le Journal de la Société d'Agriculture des B.-A. – REPOS – DIGNE - 1839

Faut-il accuser les Bas-Alpins de défiance, d'apathie ou de modération et de sagesse ?

Eugène ROBERT se rend aux Bergeries de Sénart près de Paris, à la magnanerie expérimentale de l'État. Il s'instruit des conseils de Camille BEAUVAIS dont il devient l'ami. Fort de tout ce qu'il a vu et appris, il va tenter de convaincre et d'en faire profiter ses compatriotes.

Il installe en 1836 à Sainte-Tulle dans sa ferme une magnanerie salubre de type DARCET. Il se livre à divers essais, d'amélioration de races et de conditions d'élevage.

Dans les magnaneries des Bergeries de Sénart, Camille BEAUVAIS pour déliter utilisait des filets en fil. Eugène ROBERT par souci de rentabilité et d'efficacité va mettre au point des feuilles de papier trouées qui vont remplacer avantageusement les filets en fil et seront ensuite adoptées par Camille BEAUVAIS.

Ces "papiers filet" sont fait avec de grandes feuilles de papier assez solide dans lesquelles on fait des trous à l'emporte pièce d'environ 20 mm de diamètre. Ces feuilles de papier trouées, sont placées dessus les canisses contenant les vers, on sert dessus ces filets de la feuille fraîche, les vers montent manger à travers les trous, au bout de quelques instants, on transporte le papier filet avec les vers sur une canisse propre, opération facile et qui n'abîme pas les vers car on ne les touche pas. Quelques années plus tard certaines maisons fourniront des papiers perforés tout prêt.

Pour essayer de faire connaître les méthodes modernes de sériciculture et pour vulgariser ses expériences personnelles Eugène ROBERT écrit de nombreux articles dans le Journal de la Société d'Agriculture des Basses-Alpes entre autre "Le Petit manuel du magnanier Bas-Alpin" il écrit dans d'autres journaux agricoles régionaux (les Annales Provençales d'Agriculture Pratique) et dans des revues agricoles nationales (il était également membre Fondateur de la Société Séricicole de France). A côté de cette théorie, il donne à Sainte-Tulle des cours pratiques de sériciculture. « La Magnanerie modèle de Sainte-Tulle est dotée d'une chaire d'enseignement public et gratuit sur l'éducation des vers à soie, et des expériences comparatives y sont faites sur un grand nombre de races ».
[19] J. J. M. FERAUD – Histoire géographique et statistique de département des Basses-Alpes – DIGNE – 1861

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UNE PROGRESSION TRES MODERÉE

Grâce à une propagande tant nationale que régionale pour le développement de la sériciculture, les Bas-Alpins s'engagent lentement dans l'exploitation de cette industrie.
« On commence à comprendre dans ce département, l'importance de la culture du mûrier. Cet arbre paraît même destiné à remplacer en quelque sorte l'olivier qui a eu tant à souffrir pendant les hivers rigoureux de 1820 - 1830 et 1837. Les principaux propriétaires sentent Si bien cela qu'ils ont depuis quelques années fait des plantations de mûriers très considérables.

Dans un très grand nombre de localités où il n'existait que des champs nus l'on y voit aujourd'hui avec plaisir des allées de mûriers qui les ornent et qui promettent de nouvelles ressources au paisible agriculteur. On attend de plus grands résultats encore des encouragements qui sont alloués par le Conseil général, 1200 Francs ont été votés dans la dernière session pour être distribués aux propriétaires qui cèderont à de meilleures conditions les jeunes plançons de mûrier. La réduction des prix pourra bien décider tel cultivateur qui n'était retenu que par le manque de ressources. C'est par de tels moyens qu'on présume que l'éducation des vers à soie qui est déjà en pleine vigueur dans l'arrondissement de Forcalquier prendra un grand développement dans les autres parties du département
 ».
[20] Lettre du Préfet des Basses-Alpes au Ministre de l'Agriculture, Digne, 15 mai 1838. A.D. 12 M art 15.

« L'olivier qui semble vouloir nous quitter si l'on considère trois mortalités de 1820, 1830 et 1837 qui ont plongé nos cultivateurs dans la détresse la plus profonde, les principaux propriétaires sentent tellement cela que depuis quelques années, ils ont fait des plantations de mûriers très considérables. (…)

M. Eugène ROBERT a fait jusqu'à présent les plus heureuses applications des méthodes nouvelles qu'il cherche à répandre par ses écrits et qu'il met par ses exemples sous les yeux de nos praticiens auxquels son atelier est toujours ouvert, cet établissement est chaque jour visité par les éducateurs les plus connus de la Provence qui y amènent leurs ouvriers pour en étudier les plans et les proportions, M. H. BOURDON inspecteur du ministre du Commerce de l'Agriculture et des Travaux Publics y est venu deux fois.

M. le Ministre vient d'adresser depuis quelques jours à M. ROBERT une partie des graines de vers à soie apportées du Bengale par la corvette de l'Etat "La Bonite" pour qu'il fasse pendant l'éducation prochaine un certain nombre d'expériences dont la solution intéresse vivement l'administration et dont il est chargé de lui transmettre immédiatement les résultats. Les travaux de M. ROBERT doivent exciter le plus vif intérêt dans un département qui n'a guère d'autres ressources que sont industrie agricole
 »
[21] Lettre du Maire des Sainte-Tulle au Préfet des Basses-Alpes, du 1er mars 1838. A.D. 12 M art 15.

L'esprit dans lequel Eugène ROBERT conduisait ses recherches est traduit par sa devise : « Amélioration de la condition du peuple par les progrès de l'Agriculture et de l'industrie et par le développement de son intelligence. »
[22] Lettre de Eugène ROBERT au Préfet des Basses-Alpes, 9 juin 1848. A.D. 13 M art 15.

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HENRI RAIBAUD-L'ANGE, UN PRATICIEN

Au domaine de Paillerols près de Dabisse, il y a aussi un notable, Henri RAIBAUD-L'ANGE toujours prêt a s'initier et à essayer les nouvelles techniques agricoles, et qui s'intéresse de très près aux vers à soie.

« L'éducation des vers à soie, objet si important pour nos contrées, abandonnée depuis des siècles aux plus défectueuses pratiques routinières, n'a encore eu jusqu'à ce jour que des succès de hasard et la plupart des éducateurs comptent plus de défaites que de succès ».
[23] Lettre de Henri RAIBAUD-L'ANGE au Préfet des Basses-Alpes, 25 juillet 1837. A.D. 13 M art 15.

Grâce aux travaux de Camille BEAUVAIS et DARCET les méthodes s'améliorent.

« Les environs de Paris comptent déjà sept à huit magnaneries en activité, partout on plante des mûriers, homme ancien dans le métier j'ai visité toutes ces exploitations et suivi constamment les procédés de M. Camille BEAUVAIS. De cette manière j'ai pu apprécier tout le mérite de la nouvelle méthode. ( ... )

J'ai été voir M. Camille BEAUVAIS avec lequel je suis lié d'amitié depuis un grand nombre d'années
 ».
[24] Lettre de Henri RAIBAUD-L'ANGE au Préfet des Basses-Alpes, 25 juillet 1837. A.D. 13 M art 15.

Mais RAIBAUD-L'ANGE en homme de terrain et de pratique met en garde contre toutes ces belles réalisations grandioses « Ce n'est pas tout d'avoir un bâtiment modèle, il faut encore savoir exploiter, ici la pratique vaut mieux que la théorie »
[25] Lettre de Henri RAIBAUD-L'ANGE au Préfet des Basses-Alpes, 10 septembre 1837. A.D. 13 M art 15.

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DE DURES SAISONS

Malgré la compétence des éleveurs, malgré les techniques nouvelles, il faut quand même compter avec les éléments naturels, notamment les gelées de printemps. « La verdure renaissait de toute part, sous l'influence d'une douce température. Aux fleurs avaient succédé des fruits dont on admirait déjà le nombre et la précoce beauté. Le mûrier, à son tour venait de secouer sa paresse habituelle et étalait ses jeunes feuilles transparentes et dorées aux premiers rayons d'un soleil de printemps. Le cultivateur laborieux, enchaîné, si longtemps par les frimas d'un hiver long et pénible, avait repris ses travaux et se livrait avec bonheur à l'espérance d'une abondante récolte. Mais, ô vaine sécurité ! le soleil pâlit, le vent du nord s'élève, en quelques heures les fruits de nos campagnes sont détruits, nos belles plantations de mûriers sont recouvertes d'un crêpe funèbre et toutes nos espérances sont évanouies. Pourquoi faut-il que cette vie des champs où l'homme recherche des émotions douces et tranquilles, ait de telles tourmentes ! La saison séricifère s'est ouverte désastreusement cette année ».
[26] Livre de Raison d'Eugène ROBERT dans le Bulletin de la Société Scientifique et Littéraire des Basses-Alpes. Tome X. 1901 – 1902

La chaleur aussi peut causer des dégâts dans les élevages c'est là qu'il faut aérer en grand ou alors mettre en route le tarare pour ceux qui avaient des magnaneries DARCET. « La ventilation de notre atelier a toujours été suffisante, mais, elle cessait de l'être sitôt que le tarare s'arrêtait et qu'il fallait dans ce cas, avoir recours aux soupiraux et autres ouvertures ordinaires, quand nos tourneurs harassés de fatigue prenaient quelques instants de repos »
[27] Eugène ROBERT dans le Journal de la Société d'Agriculture des B.-A. – REPOS – DIGNE - 1839

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CE N'EST PAS ENCORE L'ENGOUEMENT GÉNÉRAL

L'élevage des vers à soie est toujours volontiers encourage, au moins verbalement, par les élites dirigeantes : « Une des cultures les plus avantageuses au midi du département, c'est incontestablement, Messieurs, celle du mûrier. Sous le rapport du produit de son feuillage, de l'élève des vers à soie et de l'industrie manufacturière. La multiplication de cet arbre précieux est pour les Basses-Alpes un immense bienfait »
[28] Rapport de M. THIESSE, Préfet des Basses-Alpes à la session du Conseil Général de 1839, dans Annuaire des Basses-Alpes de 1840. p 43.

Les Basses-Alpes ne se sont pas lancées à corps perdu dans la sériciculture, loin de là, c'est une progression tranquille. « Les mûriers plantés dans cette commune sont cultivés pour l'engraissement des cochons seulement ».
[29] Note du Maire de Pierrerue au Préfet des Basses-Alpes – 22 mars 1847. A.D. 12 M art 15.

« Les gens de l'Escale ne récoltent pas de cocons, ils vendent la feuille de leurs mûriers à des gens de Volonne, de Malijai et des Mées adonnées à cette industrie »
[30] Note du Maire de l'Escale au Préfet des Basses-Alpes – 12 août 1832. A.D. 12 M art 15.

Pour la majorité les élevages sont de faibles importances « Il n'y a pas de magnanerie, on élève les vers à soie dans les maisons ordinaires »
[31] Note du Maire de Lincel au Préfet des Basses-Alpes – 21 mars 1847. A.D. 12 M art 15.

Outre les problèmes météorologiques, les maladies commencent à faire des dégâts dans les élevages.

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EXPERIENCES À SAINT-TULLE

Livre de Eugène ROBERT et GUERIN-MENEVILLE - 1848
(Archives départementales)

En 1847 le ministre de l'Agriculture charge F.E GUERIN-MENEVILLE « d'étudier les insectes destructeurs des oliviers ainsi que la muscardine et les autres maladies qui attaquent les vers a soie »
[32] Lettre de CUNIN-GRIDAINE, Ministre de l'Agriculture – Paris, le 19 mars 1847 à Eugène ROBERT. Cité dans « Etudes sur la muscardine » par Eugène ROBERT et F. E. GUERIN-MENEVILLE – 1848, cf note (3).

Et GUERIN-MENEVILLE va venir étudier et faire des expériences à Sainte-Tulle chez Eugène ROBERT, avec qui il travaillera.

« Je vous prie de recevoir mes remerciements du zèle actif que vous avez mis à seconder M. GUERIN-MENEVILLE dans le cours de ses recherches sur l'invasion et du développement de la muscardine, sur l'éclosion des oeufs de vers à soie, pendant tout le temps qu'il a passé à la magnanerie de Ste-Tulle. Je connaissais d'ailleurs, Monsieur, le dévouement avec lequel vous vous occupez depuis longtemps du perfectionnement de l'industrie séricicole, ainsi que les résultats remarquables que vous avez obtenus et je savais qu'il était impossible de choisir une magnanerie plus convenable pour les recherches dont-il s'agit. J'ai donc appris avec beaucoup de plaisir, mais sans surprise aucune, que vous aviez facilité, en tout ce qui dépendait de vous, les investigations confiées à M. GUERIN-MENEVILLE »
[33] Lettre de CUNIN-GRIDAINE, Ministre de l'Agriculture à Eugène ROBERT. Paris le 27 octobre 1847. Cité dans « Etudes sur la muscardine » , cf note (3).

En 1848, ils regroupèrent les résultats de leurs expériences dans un livre mais il ne sera pas trouvé de remède miracle pour vaincre la maladie.
[34] Lettre de CUNIN-GRIDAINE, Ministre de l'Agriculture à Eugène ROBERT. Paris le 27 octobre 1847. Cité dans « Etudes sur la muscardine » , cf note (3).

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UNE ANNÉE BONNE, L'AUTRE MAUVAISE

En 1847, aux Mées, les vers à soie sont satisfaisants, la sériciculture s'implante bien. La récolte s'élève à 8000 Kg. Les principaux éleveurs sont RAIBAUD-L'ANGE, ARNOUX, RICHAUD, Veuve CLÉMENT, Veuve BOYER, HUGUES, GAYDE de Busque, TOURNIAIRE et ROUGIER.

Mais pour 1848 il n'en sera pas ainsi : « Les éducateurs de vers à soie n'ont pas osé faire manger la feuille dans la crainte où ils étaient par suite des évènements de Février »
[35] Note de l'adjoint au Maire des Mées du 15 septembre 1848. A.D. 12 M art 15. La révolution de 1848 renverse la Monarchie constitutionnelle et établit la deuxième République le 24 février 1848, à laquelle mettra fin le coup d'Etat du 2 décembre 1851.

La récolte est diminuée de moitié 4000 Kg.

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QUELQUES ANNÉES DE SAINES RÉCOLTES

Après ce passage à vide de 1848, la progression reprend. Les cocons rapportent bien, la tentation est grande d'augmenter la quantité de graines que l'on met à incuber si bien que les élevages deviennent plus importants mais dans des conditions sanitaires pas toujours convenables.

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LES MALADIES

Les vers sont trop nombreux dans certaines magnanières et les maladies contagieuses font des ravages. Ces maladies ne sont pas nouvelles, elles existaient déjà, mais auparavant, avec de petits élevages, la contamination était restreinte, le nombre des victimes était admissible.

A partir de 1856, la confusion s'installe chez les sériciculteurs. « La situation de l'industrie séricicole a éveillé depuis plusieurs années toute l'attention du Gouvernement. Différentes mesures avaient été prises pour combattre ou atténuer les effets de la maladie qui a atteint les vers à soie. Malheureusement, ces dispositions n'ont pas obtenu tout le résultat désirable et bien que la récolte des soies ait été généralement meilleure en 1858 que dans le cours des années qui ont précédé il est a craindre que le mal ne soit pas encore arrivé à son terme ».
[36] Circulaire du Préfet des Basses-Alpes, G. de SAINT-PAUL aux Maires – 26 avril 1859. A.D. 13 M art 16.

Les mûriers sont suspectés. Les mûriers malades transmettraient la maladie aux vers, un vent de panique pousse certains propriétaires à détruire des mûriers. Bien que pour la région la situation ne prenne pas le caractère catastrophique de celle des Cévennes, elle était quand même préoccupante.

En 1859 aux Mées on n'a planté aucun mûrier et on en a arraché environ cent.

Dans beaucoup de communes des Basses-Alpes on arrache quelques mûriers, « On a planté et arraché, mais le nombre de mûriers arrachés surpasse de beaucoup le nombre de ceux qu on a planté ».
[37] Note du Maire de Forcalquier le 11 août 1860. A.D. 13 M art 16.

En arrachant quelques mûriers, on se donne l'illusion de lutter contre la maladie, mais pour certains c'est vraiment sans grande conviction et ils ne veulent pas contredire l'opinion générale : « La maladie des mûriers si elle existe n'est pas apparente ».
[38] Note du Maire de Saint-Maime le 7 juillet 1859. A.D. 13 M art 16.

Aux Mées en 1859 la maladie principale qui est signalée est la gatine ou pébrine qui s'est manifesté au 2ème et 4ème âge.

La production de cocons est tombée à 2000 kg alors qu'elle aurait due être de 9000 kg. Les graines qui ont le mieux réussi sont celles de Salignac, de Banon, Châteaux-Arnoux, Château-neuf-Val St Donat, Revest des Brousses et Digne, par contre celles du pays et de Laragne ont donné de mauvais résultats.

« Les éducateurs sont persuadés que la bonne réussite des éducations provient de la graine, puisque dans la même chambrée une espèce de graine réussit et trois autres manqueront. Ils pensent que la bonne graine vient surtout des pays montagneux où l'on élève peu de vers à soie et sans feu ».
[39] En note avec le questionnaire sur les maladies des vers à soie et des mûriers rempli par le Maire des Mées pour 1859. A.D. 13 M art 16.

Certains pessimistes voient même la fin de la sériciculture : « L'emploi de plus en plus grand de la charrue à 4 et 6 bêtes tend à écarter des bordures des terres les mûriers ou autres arbres qui leur font obstacle. Il est donc difficile de compter sur un retour vers l'élevage des vers à soie ».
[40] Note du Maire de Lincel au Sous-Préfet de Forcalquier – 22 janvier 1868. A.D. M art 15.

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À LA FERME ÉCOLE DE PAILLEROLS.

Au domaine de Paillerols était instituée depuis 1849 la Ferme Ecole Départementale sous la direction du propriétaire Henri RAIBAUD-L'ANGE

« Elle a pour but de mettre à même les jeunes des familles agricoles d'exploiter avec profit des propriétés mal cultivées et à trouver avantages et prospérité là où leurs devanciers n'avaient rencontré que ruine et misère ».
[41] Henri RAIBAUD-L'ANGE - A.D. 13 M art 4

RAIBAUD-L'ANGE qui recherchait toutes les manières, les techniques pouvant contribuer à une amélioration de la vie des agriculteurs bas-alpins et qui se voulait volontiers innovateur et expérimentateur, surveillait ses magnaneries de Paillerols de près et l'art du magnanier était bien enseigné à la Ferme Ecole ; dans la liste des personnes attachées à l'école pour l'enseignement, on trouve; AMAYON, magnanier.

La Ferme Ecole compte en1864, 8 hectares de mûriers, sans compter ceux qui sont disséminés en bordure des champs, et que l'on taille par tiers tous les trois ans en Février-Mars.

Toujours en cette année 1864 on avait mis à éclore à Paillerols 40 onces de graines mais, « les vers à soie ont assez peu réussi à Paillerols et dans les environs, la feuille est restée sur les arbres, à peine la moitié à été consommée. En automne quand le temps est favorable, je fais cueillir une grande quantité de la deuxième feuille pour les moutons en hiver ».
[42] Henri RAIBAUD-L'ANGE - A.D. 13 M art 4

Pourtant dans l'ensemble, les productions de cocons étaient bonnes à Paillerols, car RAIBAUD-L'ANGE avait remarqué l'importance d'une graine saine « La grande difficulté, aujourd'hui est de se procurer de la bonne graine. Je prends tous les ans beaucoup de peine pour découvrir des cocons provenant de vers bien sains pour me servir au grainage, c'est ordinairement dans la partie montagneuse des arrondissements de Sisteron et de Gap que nous nous approvisionnons, trop heureux quant à des prix souvent très élevés nous pouvons trouver les éléments d'une bonne réussite.

Le grainage est une opération fort délicate, demandant une grande surveillance pour les accouplements et pour l'enlèvement des mauvais papillons. A Paillerols deux personnes parfaitement au courant de ce travail, s'en occupent régulièrement pendant plus de quinze jours. Nous avons fait grainer beaucoup de cocons en 1865, pour nous d'abord, ensuite pour bon nombre de personnes qui nous avaient demandé des graines, tout nous a été enlevé en Février et nous avons le regret de ne pouvoir satisfaire les éducateurs qui ont mis du retard à leur demande
 »
[43] Henri RAIBAUD-L'ANGE - A.D. 13 M art 4

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DE CURIEUX REMÈDES

Les maladies sont là, font des dégâts et pour lutter on va employer toutes sortes de remèdes. plus ou moins efficaces ou farfelus « le soufre en fleurs répandu sur les vers ou sur la feuille, le soufre en fleurs mêlé à la poussière de charbon, la farine de moutarde, la poudre de quinquina, de gentiane, de valériane, le sucre, les cendres, le pyrèthre, la suie, ... enfin des poudres tenues secrètes par leurs inventeurs. (...) Parmi les liquides, le rhum, le vin, l'absinthe, les acides sulfurique et azotique, le vinaigre, l'eau de chaux, les eaux sulfureuses artificielles, des solutions de sulfate et de lactate de fer, ont été employés sans plus de succès. Les fumigations gazeuses de chlore, d'acide sulfureux, de goudron, de vapeurs nitreuses ont été préconisées et abandonnées par ceux-là mêmes qui les avaient proposées avec le plus de confiance. Il n'est pas jusqu'a l'action du courant électrique qui n'ait été vantée comme spécifique infaillible ».
[44] Louis PASTEUR- Etudes sur les maladies des vers à soie – 1870. Tome I. p 45.

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LE PROCÉDÉ ONESTI

Un italien ONESTI croit avoir trouvé la panacée en utilisant le poudrage des vers avec « la suie recueillie dans les cheminées des poêles où l'on a mis que du bois » ; une certaine publicité est faite à cette méthode. A l'échelon national une campagne est menée pour l'essai de ce procédé.

Dans le département des Basses-Alpes quatre commissions sont chargées de le tester ; une à Forcalquier une à Manosque, une à Sisteron et une aux Mées dirigée par RAIBAUD-L'ANGE qui mentionne dans son rapport « La suie a été répandue uniformément au moyen d'un tamis sur les vers à soie de la première mue jusqu'à la montée. Aucun effet curatif ni même préservatif n'a pu être constaté. La suie bien que sèche et poudreuse s'agglutinait entre les pattes des vers et gênait beaucoup leurs mouvements. Ils paraissaient contrariés de la présence de cette poussière et faisaient tous leurs efforts pour s'en débarrasser. En définitive la mortalité a été généralement aussi grande parmi les vers soumis au procédé ONESTI qu'à l'égard des autres »
[45] Rapport de Henri RAIBAUD-L'ANGE pour la commission des Mées sur l'expérimentation du procédé ONESTI – 16 août 1864. A.D. 13 M art 16.

Effectivement l'ensemble des résultats constatés ne sont pas du tout significatifs. « L'emploi de la suie de bois pulvérisée, constituant le procédé que M. ONESTI déclarait propre à combattre et à guérir la pébrine est sans aucune efficacité ».
[46] Circulaire du Ministre de l'Agriculture – 25 janvier 1865. A.D. 13 M art 16.

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LOUIS PASTEUR À PAILLEROLS

Louis PASTEUR à Paillerols

Louis PASTEUR dans une magnanerie
(Réf : "Pasteur" Pierre LEMOYNE - Abbeville
C. Paillart, Imprimeur).

C'est alors que l'on va demander à Louis PASTEUR d'essayer de lutter contre ce fléau. Lutte qu'il mènera jusqu'en 1870 au terme de laquelle il aura mis au point son système de grainage cellulaire. Pendant ses expériences qui se font principalement dans le Gard près d'Alès il est amené à rencontrer des éleveurs et des producteurs de graines de diverses régions. « M. PASTEUR fit de nombreux voyages dans les Basses-Alpes et plus particulièrement sur les bords de la Durance dans le canton des Mées, au château de Paillerols chez M. RAIBAUD-L'ANGE directeur de l'école-Ferme, chez M. GORDE Appolinaire au plan des Mées, à Oraison chez M. LAUGIER sériciculteur, aux Mées chez M. ARNOUX, où il dirigeait l'exploitation de grainage cellulaire pour la reproduction des vers à soie. Il visitait souvent les petites magnaneries des environs et aidait de ses conseils les éducateurs qui avaient adopté son système de reproduction soumis à l'examen microscopique des papillons reproducteurs par la sélection ».
[47] L'Agriculteur Bas-Alpin du 12 octobre 1895 lors du décès de Louis PASTEUR.

Louis PASTEUR se lie d'une amitié certaine avec Henri RAIBAUD-L'ANGE en lequel il trouve « un collaborateur efficace, prêt à expérimenter ses nouvelles méthodes, cette amitié sera solide puisque en 1883 PASTEUR correspond toujours avec RAIBAUD-L'ANGE ».
[48] Lettre de Louis PASTEUR à Henri RAIBAUD-L'ANGE du 24 octobre 1883, dans Bulletin de la Société Scientifique et Littéraire des Basses-Alpes – 1869. p 20.

Le premier séjour de PASTEUR à Paillerols se fait en 1865 ou 1866. « Des expériences microscopiques du plus haut intérêt sont faites à Paillerols depuis deux ans et sur une large échelle, pour l'amélioration des races de vers à soie par le procédé de sélection. MM. PASTEUR et DUCLAUX sont venus de Paris pour suivre ces expériences et y prendre une part active. Cette méthode rationnellement étudiée et soigneusement appliquée est appelée à rendre d'immenses services à l'industrie séricicole si cruellement éprouvée depuis quelques années les résultats déjà obtenus permettent de l'affirmer ».
[49] Rapport du Préfet des Basses-Alpes, M. C. FALCON DE CIMIER, session du Conseil Général de 1868, dans Annuaire des Basses-Alpes de 1869. p 20.

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UNE PREMIÈRE NATIONALE À PAILLEROLS

PASTEUR met au point en laboratoire la sélection de la graine par le microscope, et la mise en pratique pour un élevage important va se faire à Paillerols.

« Cette méthode a été pratiquée pour la première fois sur une grande échelle par M. RAIBAUD-L'ANGE, directeur de la Ferme-Ecole de Paillerols, membre du Conseil général des Basses-Alpes. Cet habile éducateur a préparé en 1867, 2 500 onces de graines au moyen de dix-sept chambrées choisies au microscope parmi plus de quatre-vingts; aucune de ces chambrées de choix n'avait offert, soit dans les papillons vivants soit dans les papillons morts, plus de 10 pour 100 de sujets corpusculeux.

Plusieurs même n'en offraient pas du tout, et la plupart moins de 5 pour 100. Ces dix-sept lots de graines élevées en 1868 ont tous donné des réussites très remarquables, aussi bien dans les localités de petite que de grande culture. Enfin pas un de ces lots n'a fourni une seule éducation ayant péri de la maladie des corpuscules
 ».
[50] Louis PASTEUR- Etudes sur les maladies des vers à soie – 1870. Tome I. pp 187 - 188.

Voici ce qui se passait à Paillerols.
« Je vais décrire l'application du nouveau procédé de grainage qui a été faite en 1867 et 1868 par M. RAIBAUD-L'ANGE, membre du conseil général des Basses-Alpes et directeur de la Ferme-Ecole de Paillerols. Comme ce propriétaire a pu livrer au commerce en 1867 environ 2 500 onces, il sera bien établi que ce procédé peut-être mis en pratique sur une vaste échelle.

M. RAIBAUD-L'ANGE avait distribué la graine de deux de ses meilleures chambrées choisies au microscope à cent-douze éducateurs des Hautes et Basses-Alpes, par lots de demi-once, une once et deux onces. Cette distribution avait été faite gratuitement, à la seule condition que les détenteurs n'élèveraient que cette sorte de graine et qu'ils vendraient à M. RAIBAUD-L'ANGE leur récolte au plus haut cours du prix des cocons. Cinq ou six éducateurs ont brûlé leur graine à l'éclosion.
[51] C'est-à-dire que l'étuve le “lanternon” qui servait d'incubateur avait chauffé trop fort.

Tous les autres ont réussi. La moyenne du rendement a été de plus de 45 kilogrammes, à l'once de 25 grammes. Les cocons de chacune de ces éducations séparées ont été apportés à Paillerols pendant la nuit, dans des corbeilles longues, peu profondes, superposées en croix et enveloppées d'un drap. Sur chaque lot on avait prélevé 1 kilogramme de cocons (un demi-kilogramme suffirait) qui après avoir été mis en filane, étaient suspendus dans une chambre chauffée constamment par un poêle, à 25 et 30° Réaumur. Les papillons sortent de cette chambre quatre ou cinq jours au moins avant de sortir dans le lot principal correspondant. On a donc le temps nécessaire pour les examiner et, dans le cas où on les juge mauvais, de faire envoyer le lot principal à la filature. Si les papillons sont déclarés propres au grainage on fait mettre en filanes tous les cocons du lot, en éloignant seulement les faibles et les doubles. Les filanes sont portées dans l'atelier de grainage avec un numéro d'ordre. Elles sont suspendues à des perches placées horizontalement sur des espèces de tréteaux très solides de deux mètres de hauteur environ. Il est bon de ne pas tolérer plus de 10 à 12 pour cent de papillons corpusculeux dans les lots conservés, et il faut être même plus sévère dans le cas où l'on a à sa disposition plus de bons lots que l'on n'en peut faire grainer 
»
[52] Rapport à son excellence M. le Ministre de l'Agriculture sur la mission confiée à M. PASTEUR en 1868 relativement à la maladie des vers à soie – Imprimerie Impériale – Paris 1868. p 9.

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PAILLEROLS AU CŒUR DES EXPERIMENTATIONS

Voyons un autre témoignage des travaux qui s'accomplissaient à Paillerols.
« J'ai été assez heureux pour rencontrer chez M. RAIBAUD-L'ANGE, directeur de la Ferme-Ecole de Paillerols, des procédés d'éducation et de grainage, confirmant les belles expériences de M. PASTEUR, et appelés, suivant moi, à prévenir la maladie qui décime les chambrées. Depuis plus de quarante ans, on se livre, sur une grande échelle, à Paillerols, à l'éducation des vers a soie. Trois mille mûriers, tant en plein qu'en bordures occupent près de 20 hectares (?) de ce domaine; ils végètent sur un coteau argilo-calcaire, sous le climat sec de la haute Provence, à une altitude de 250 mètres (?) au dessus du niveau de la mer, et peuvent fournir de la feuille pour 50 onces environ. Ces conditions éminemment favorables n'ont cependant pas empêché le mal de sévir ici comme ailleurs en 1852, la gatine faisait périr tous les vers à soie de Paillerols, et, les années suivantes, ses éducations étaient également frappés d'insuccès. M. RAIBAUD-L'ANGE ne perdit pas courage. Homme de science et de pratique, après avoir, en vain, cherché à combattre ce fléau par des soins hygiéniques multipliés, il se décida, en 1860 à recourir aux petites éducations. Persuadé qu'il fallait avant tout, se préserver des foyers d'infection, il abandonna la magnanerie de Paillerols et divisa autour de lui ses éducations. Ce moyen ne suffisant pas encore, il alla dans les fermes écartées des Hautes et des Basses-Alpes, où la maladie n'avait jamais paru et où les conditions d'isolement et de salubrité présentaient les meilleures chances de réussite. Là, chaque année, à l'ouverture de la campagne séricicole, il examinait avec soin les petites éducations de ces contrées, il les suivait aux différents âges et ne s en rapportait qu'à lui-même pour se procurer de bons reproducteurs.

N'apercevait-il aucune trace de maladie aux mues successives des vers ou à la montée, il achetait à tout prix les cocons provenant de ces petites éducations pour les faire grainer dans un bâtiment spécial de la Ferme-Ecole. Bien convaincu déjà que la pureté de la graine était le point essentiel à rechercher, il portait toute son attention sur les reproducteurs, principal contrôle des essais, les papillons les plus sains, les plus blancs, les plus vigoureux, ceux dont l'accouplement rapide s'effectuait sans interruption, dont la vitalité se continuait encore douze ou quinze jours après la ponte, lui fournissaient les meilleurs types : tous les autres étaient rejetés. C'est ainsi que la graine s'est faite à Paillerols de 1860, à 1866. Six années de réussite consécutive ont récompensé cette manière judicieuse d'opérer. Au commencement de juin 1867, 35 quintaux de cocons de 40 Kilogrammes chaque, résultant de 35 onces de graines, du poids de 25 grammes, partaient de Paillerols, vendus au prix de 8 Francs le kilogramme; ils étaient de fort belle qualité ; on avait assurément lieu d'être satisfait, en présence surtout des nouveaux désastres qui venaient de signaler la dernière campagne. Toutefois M. RAIBAUD-L'ANGE ne s'arrêta pas dans cette voie du progrès. Mieux que personne il avait compris l'insuffisance de ces moyens de régénération; l'achat d'un grand nombre de lots de cocons pour en obtenir un seul d'apparence irréprochable n'était pas un médiocre inconvénient; en outre, l'inspection à simple vue d'œil n'était point infaillible, il fallait donc trouver un contrôle plus parfait. M. PASTEUR. l'éminent académicien, venait de publier une partie de ses expériences, ses recherches consciencieuses ouvraient une voie d'investigation et plus sûre et plus complète ; M. RAIBAUD-L'ANGE avec le tact pratique qui le distingue, se fit aussitôt sa discipline, et à son tour. s'est armé du microscope pour se procurer de bons reproducteurs. Ses petites éducations dans la montagne se sont élevées cette année à soixante dix-huit ; les plus minimes ont eu lieu sur un demi quart d'once, les plus considérables n'ont pas dépassé deux onces : toutes provenaient d'une graine déclarée parfaitement pure par M. PASTEUR lui-même. Ces éducations ont été réparties entre les arrondissements de Gap, Digne, Sisteron ; réussite parfaite; deux ont atteint des chiffres extraordinaires : 55 kilogrammes par once de 25 grammes, chez M. le Docteur ALLEMAND à Riez; 58 kg pour une même quantité de graine, chez M. ROUGIER, à Louvière (Basses-Alpes); plusieurs sont montées a 48, 50 et 52 kilogrammes; pas une n'est descendue en dessous de 42 kilogrammes. Dans le département du Vaucluse, il est vrai, on cite quelques échecs partiels, bien que la graine fût originaire de Paillerols, mais d'une part cette graine n'offrait qu'une garantie insuffisante de pureté, d'autre part, les acheteurs avaient mélangé la graine de Paillerols avec d'autres graines infestées : les mêmes qualités ont donné une bonne récolte moyenne dans les Basses-Alpes, l'échec du Comtat n'infirme donc point la réussite obtenue sans conteste ailleurs. Tous les cocons qui donnent un bon rendement ne sont pas tous aptes à fournir de bons reproducteurs ; pour s'assurer de la pureté de ces derniers, il faut recourir au microscope. C'est ce que vient de faire dans cette campagne M. RAIBAUD-L'ANGE ; il ne croit plus pouvoir se passer de ce moyen d'investigation. Aux approches de la montée, le directeur de Paillerols s'est transporté, avec son voisin M. GORDE, aux lieux de ses diverses éducations en montagne ; il a pris des cocons comme spécimen. de chaque chambrée, son choix s'est porté de préférence sur les cocons les mieux conformés, les plus lourds, les plus fins et d'une coloration uniforme; les chrysalides triturées ont passé sous le microscope, tous ceux qui présentaient plus de deux pour cent de corpuscules ont été rejetés, le reste a pris le chemin de la ferme-école. Des cocons y ont été débavés de nouveau; on les a enchapelés et suspendus à des traverses mobiles dans de vastes pièces bien aérées, sous une température moyenne de 12 à 13 degrés. A la sortie des papillons, nouvel examen microscopique. auquel M. de PLAGNIOL, habile micrographe de l'Ardèche a prêté son concours, comme contrôle suprême, M. RAIBAUD-L'ANGE a envoyé, sous des numéros d'ordre à M. PASTEUR, des spécimens de tous les papillons des différentes chambrées destinées au grainage, afin qu'il voulût bien réviser lui-même les expériences de Paillerols; j'ai pu constater moi-même par l'inspection au microscope, qu'un grand nombre de lots réservés pour le grainage sont entièrement purs de corpuscules : c'est parmi ces derniers triages que M. RAIBAUD-L'ANGE opère une sélection minutieuse pour se procurer la graine de ses types reproducteurs de 1868; il serait difficile de s'entourer de plus de précautions. L'atelier de grainage de Paillerols ne laisse rien à désirer; l'ordre et la propreté y président. Tout y est préalablement lavé avec un mélange d'acide sulfurique étendu de six fois son volume d'eau, afin de détruire les germes miasmatiques. Mêmes soins hygiéniques pour les éducations en montagne. Tous les lots de cocons portent une étiquette, et des numéros correspondants sont placés sur les linges destinés à recevoir la graine. Les papillons sont classés avec une extrême attention, et nonobstant l'examen microscopique, on rejette encore tous ceux dont l'apparence est suspecte. L'accouplement ne dure pas au-delà de six à sept heures. Dès que les toiles sont couvertes de graines et que celles-ci ont passé du jaune au gris, on trempe les linges dans deux eaux successives, à la température ambiante, pour les débarrasser de toute substance étrangère au grainage; cette opération terminée, on expose les linges à un courant d'air frais jusqu'à dessiccation suffisante; ils sont ensuite placés dans un endroit sec, à basse température, suspendus sur des cordes à l'abri de la poussière et des souris 
».
[53] Rapport de Victor RENDU, Inspecteur Général de l'Agriculture à son excellence le Ministre de l'Agriculture du Commerce et des Travaux Publics. Cité par Louis PASTEUR dans « Etudes sur les maladies des vers à soie ». Tome II. pp 59-60-61-62.

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LA BONNE GRAINE DE PAILLEROLS

En 1868, Paillerols est toujours en première ligne pour la production de graines de très bonne qualité. « J'ose assurer que le salut des éducateurs est entre leurs mains. Qu'ils imitent un propriétaire éclairé des Basses-Alpes, M. RAIBAUD-L'ANGE, directeur de la Ferme-Ecole des Paillerols, qui a fait en 1867, en prenant mes indications pour base, plusieurs milliers d'onces de graine. (...) Cent douze éducateurs des Hautes et Basses-Alpes vont faire autant d'éducations de une-demie, une, et deux onces de ces mêmes graines qui seront destinées aux grainages de M. RAIBAUD-L'ANGE en 1868. Il sortira peut-être de ces nouvelles chambrées 200 à 300 kilogrammes de graine de bonne qualité. C'est presque le centième de ce qu'il faut à la France entière. Jugez par là de ce que peut accomplir l'initiative individuelle quand elle prend pour guide les résultats établis par l'expérience, au lieu de s'abandonner à des vagues dissertations ou de se confier à de prétendus remèdes dont l'efficacité n'a d'autre appui que les idées préconçues de leurs auteurs ».
[54] Lettre de Louis PASTEUR à J. B. DUMAS du 10 avril 1868. Cité dans « Etudes sur les maladies des vers à soie ». Tome II.

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Louis PASTEUR - Henri RAIBAUD-L'ANGE UNE COOPERATION EFFICACE

PASTEUR qui connaissait la compétence de RAIBAUD-L'ANGE n'hésitait pas à lui demander son avis. « Monsieur BONOUX s'est empressé de m'adresser un gramme de la graine de la chambrée ARNOUX de Digne et un gramme de la graine qu'il appelle graine de la Préfecture et dont vous m'avez parlé. La graine de la chambrée de Digne est aussi mauvaise que celle de Monsieur le Maire d'Oraison ou peut s'en faut, je n'ai pas trouvé de corpuscules dans l'autre échantillon de la Préfecture.

Tous ces faits ont une signification qui parait décisive, voilà donc trois cents kilogrammes de cocons à Digne et cent à Oraison qui livrés à la filature auraient produit trois à quatre mille francs, tandis que livrés au grainage, ils vont achever de ruiner plusieurs centaines d'éducateurs. Pourtant un examen microscopique de quelques minutes aurait tout dévoilé comme vous vous en êtes assuré. Il me tarde de vous demander votre avis sur un moyen que je croirais pratique pour enlever les vers corpusculeux dans vos éducations pour graine, ou dans celles que l'on voudrait rendre telles avec les graines que vous avez livrées.

Il consisterait à éloigner dès la première mue, mais peut-être plus particulièrement à la seconde, à la troisième à la quatrième, tous les sujets capables de développer la contagion et de faire apparaître les corpuscules dans les chrysalides.

Il faudrait, au premier repas après la mue, que l'éducateur enlève à la main à l'aide d'une petite pince tous les vers qui ne sont pas encore en mue ou qui ne font que s'y mettre. Ce sont là les sujets corpusculeux ou qui le deviendront. Un délitage ne peut pas remplacer ce travail d'élimination individuelle, à moins qu'il ne se fasse après enlèvement de ceux qui ne sont pas en mue et qui sont les plus mauvais.

Dans mon ignorance de magnanier, je n'aurais pas à vous donner de conseils pratiques sur la conduite générale d'une chambrée, mais je dois pourtant vous dire que j'ai de bonnes raison de croire que de la quatrième mue à la montée il faut éviter avec le plus grand soin les grandes variations de température, les vers prennent alors de la langueur et une grande prédisposition à la maladie des morts flats. Que l'examen de vos chambrées pour graines de la quatrième mue à la montée soit une de vos grande préoccupation. Je serais disposé à croire qu'avec une grande vigueur des vers, la tolérance sur le nombre des sujets corpusculeux au grainage peut-être accrue
 ».
[55] Lettre de Louis PASTEUR à Henri RAIBAUD-L'ANGE du 14 avril 1868 – Fond. PASTEUR – Bibliothèque Nationale NA. F. 17 973.

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LE GRAINAGE À PAILLEROLS

Femelle qui dépose ses œufs

La femelle dépose ses œufs sur un petit carré de tissu accroché à un fil tendu. Le mâle est enfermé dans une poche aménagée au bas du tissu, après la ponte, on y met également la femelle afin de les observer au microscope plus tard pour voir s'ils ne sont pas porteurs de corpuscules de la pébrine. (Réf. : "Etudes sur la maladie des vers à soie" L. PASTEUR - Paris - 1870 - Tome I)

     « Je suis depuis quinze jours dans les Basses-Alpes ou j'assiste M. RAIBAUD-L'ANGE dans le vaste grainage qu'il effectue de nouveau cette année, d'après mon procédé ( ... )

Présentement, je voudrais que vous fussiez à Paillerols. Vous y verriez un grainage organisé sur la plus vaste échelle, et que M. RAIBAUD-L'ANGE se dispose à agrandir encore l'an prochain. Rien de plus pratique. J'ai déjà pu choisir 26 chambrées, formant un total de 1.200 Kilogrammes de cocons, qui sont livrés au grainage. Il n'y a pas moins de vingt femmes occupées à mettre en filane les cocons choisis par le microscope (…)

Le succès extraordinaire de toutes les éducations de M. RAIBAUD-L'ANGE a tellement ouvert les yeux que son exemple est suivi dans les Basses-Alpes par nombre de personnes. Le microscope devient le vade mecum de tous les graineurs intelligents
 ».
[56] Lettre de Louis PASTEUR à J. B. DUMAS de Paillerols le 24 juin 1868. Cité dans Correspondance de PASTEUR par PASTEUR-VALLERY-RADOT – Flammarion. Paris. 1952. Tome II.

Mais il est important de faire des petites éducations isolées, car la contagion de la pébrine s'intensifie en fonction de l'importance et de la proximité des élevages. "Si l'on considère un département de petite culture et dans ce département, une ville, un village où un grand nombre de personnes fassent des éducations, tout de suite on remarque une grande infection dans les chrysalides ou les papillons des chambrées de cette localité.

C'est ce qui est arrivé, cette année pour la petite ville des Mées, dans les Basses-Alpes. Une multitude de personnes ont élevé des vers à soie, bien plus que le comportait la quantité de feuilles dans la commune. On allait acheter la feuille à 30 et 40 kilomètres. Or l'examen microscopique des cocons de cette ville, fait par M. ARNOUX fils, comparativement à celui des chambrées isolées des environs , a montré que l'infection corpusculaire était bien plus grande dans la ville que dans les campagnes ».
[57] Rapport à son excellence M. le Ministre de l'Agriculture sur la mission confiée à M. PASTEUR en 1868 relativement à la maladie des vers à soie – Imprimerie Impériale – Paris 1868. P 9.

Les graines préparées À Paillerols obtiennent une bonne réputation dans les départements séricicoles. « M. RAIBAUD-L'ANGE avait toute sa graine de cette année placée même avant qu'elle ne fût faite. Il aurait pu en vendre vingt mille onces aussi facilement que cinq mille. Et ne croyez pas que le gros des demandes ait été le propre d'éducateurs nouveaux qui n'auraient fait qu'entendre parler de ces graines.

Le président du Comice d'Alais qui, l'an dernier avait demandé à M. RAIBAUD-L'ANGE, pour ses amis et sa famille 220 onces de ces graines, a dû en réserver pour les mêmes éducateurs, 500 onces dès la fin du mois de Juin. M. GERVAIS, notaire à Anduze, en a réclamé 700 onces, au lieu de 100 en 1867 pour être distribuées également à sa famille et à ses amis
 ».
[58] Lettre de Louis PASTEUR à Paul EYMARD , membre de la Commission des soies de Lyon du 5 octobre 1868, dans Correspondances de PASTEUR par PASTEUR-VALLERY-RADOT – Flammarion. Paris. 1952. Tome II.

« Tous les jours on vient me prier de retenir des graines à M. RAIBAUD-L'ANGE ou aux personnes qui appliquent les procédés de M. PASTEUR. Aussi quelle que soit la quantité de graines qui se fabriquent cette année par ces procédés, elle ne pourra suffire, à Alais seulement, aux demandes déjà formulées.

Heureusement que le procédé se vulgarise de plus en plus et que déjà M. RAIBAUD-L'ANGE a des imitateurs dans le Gard, l'Hérault, et les Pyrénées Orientales
 »
[59] P. de LACHENEDE – Président du Comité d'Alais, dans Moniteur des soies du 26 juin 1869. Cité par L. PASTEUR dans « Etudes sur les maladies des vers à soie ». Tome II. p 125.

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TECHNIQUE DE GRAINAGE

Voilà la manière dont était conduit le grainage cellulaire à Paillerols « Je vais le décrire tel qu'il a été appliqué par M. RAIBAUD-L'ANGE et par M. LAUGIER maire d'Oraison et ARNOUX adjoint au maire des Mées qui encouragés par le succès de leur voisin M. RAIBAUD-L'ANGE se sont empressés de l'imiter.

Longtemps avant les éducations et les grainages, on se procure une multitude de petits morceaux de toile de 5 à 6cm de largeur sur 10 de hauteur environ, numérotés et en outre, des crochets de fil de fer pour les suspendre. Ces crochets peuvent être faits avec des épingles à cheveux dont se servent les femmes, que l'on coupe en deux, et, que l'on recourbe ensuite convenablement. On a préparé d'autre part une foule de petits cornets de papier également numérotés.

A l'époque des grainages, on choisit un des meilleurs lots pour la graine dont les chrysalides et les papillons ont été étudiés préalablement au double point de vue de la maladie des corpuscules et de la maladie des morts-flats. On place les couples, un à un sur les petites toiles que l'on a suspendues à l'aide des crochets à des ficelles tendues horizontalement dans un appartement assez spacieux. Au bas de chaque morceau de toile est accroché avec une épingle ordinaire recourbée un des cornets de papier portant le même numéro d'ordre que la toile. Au moment du désaccouplement, on place le mâle dans le cornet. La femelle reste sur la toile, où elle pond ses oeufs. Le surlendemain on l'enferme dans le cornet à côté du mâle. Tous les cornets sont conservés soigneusement à l'abri de l'humidité, et, plus tard, à loisir, on examine les sujets des divers couples. On rejette les toiles qui correspondent à un ou deux sujets corpusculeux et on réunit par lavage les graines à toutes les autres. On a de cette façon de la graine absolument privée de corpuscules et qui offre beaucoup plus de chances de se conserver pure et de fournir des reproducteurs sains.

L'observat ion des papillons au microscope à temps perdu, plus ou moins longtemps après la mort des papillons, offre une garantie particulière pour la qualité de la graine. Les corpuscules en effet se multiplient tant que vit le papillon, et tel individu qui au moment où il sort du cocon, n'avait encore que quelques corpuscules pouvant échapper à l'observateur en montrera considérablement après sa mort. Du moins, M. RAJBAUD-L'ANGE croit avoir observé que la proportion pour cent des papillons corpusculeux est plus grande quand on la détermine sur les papillons morts naturellement.

Le mode de grainage que je viens de décrire est si facile à appliquer que de leur côté, M. LAUGIER, maire d'Oraison et M. ARNOUX des Mées ont fait grainer ainsi 4 À 5000 couples représentants 40 ou 50 onces de graines.

M. ARNOUX a modifié le travail en plaçant les couples au moment de la sortie des papillons dans un châssis à cellules de carton couvert d'un treillis en toile métallique, afin d'empêcher le voyage des mâles . Au moment du désaccouplement, les femelles seules sont placées sur les toiles, les femelles testant volontiers à la place où on les met, on peut rapprocher les toiles sans inconvénients, les suspendre même aux ficelles à l'aide d'un crochet unique et diminuer ainsi beaucoup l'espace nécessaire pour le grainage
 ».
[60] Rapport à son excellence M. le Ministre de l'Agriculture sur la mission confiée à M. PASTEUR en 1868 relativement à la maladie des vers à soie – Imprimerie Impériale – Paris 1868. pp 12-13.

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RENOMMÉE DE LA GRAINE DES ALPES

PASTEUR pense que « le département des Basses-Alpes, est en effet l'un de ceux dont on peut attendre un grand nombre d'excellents grainages, si les éducateurs veulent bien y prendre pour guide les résultats de mes recherches »
[61] Rapport à son excellence M. le Ministre de l'Agriculture sur la mission confiée à M. PASTEUR en 1868 relativement à la maladie des vers à soie – Imprimerie Impériale – Paris 1868. p 22.

« Que des grands propriétaires, que des graineurs éclairés et probes au lieu d'aller porter au Japon l'argent de la France pour la munir de graine de races très inférieures aux nôtres, suivent l'exemple que leur a donné pour la première fois M. RAIBAUD-L'ANGE et la Commission départementale des Pyrénées Orientales, qu'ils se transportent dans nos départements de petite production, qu'ils fassent élever une graine pure, qu'ils en surveillent les éducations et qu'ils choisissent au microscope les meilleures chambrées résultantes pour les livrer au grainage. Tout en faisant leur propre fortune, ils donneront à la sériciculture une prospérité qu'elle n'a jamais connue ».
[62] Rapport à son excellence M. le Ministre de l'Agriculture sur la mission confiée à M. PASTEUR en 1868 relativement à la maladie des vers à soie – Imprimerie Impériale – Paris 1868. p 39.

Effectivement, les graineurs Bas-Alpins commencent a produire des graines de qualité. « Déjà les producteurs des départements voisins viennent volontiers acheter les graines des éducateurs Bas-Alpins ».
[63] Rapport du Préfet des Basses-Alpes, M. C. FALCON DE CIMIER, session du Conseil Général de 1867, dans Annuaire des Basses-Alpes de 1868.

« Si nous sommes bien informés les 1500 onces récoltées par notre intelligent compatriote (il s'agit de M. TARTANSON de Digne) ne suffisent pas aux demandes, qui lui viennent de la Drôme, du Vaucluse et des autres départements voisins. Sur la recommandation de M. GUERIN-MENEVILLE, le Paraguay lui a fait une commande considérable. Sa graine et celle des Mées fait prime sur le marché. Nous en sommes enchantés, et nous engageons vivement nos agriculteurs à ne pas laisser écouler toute cette fructueuse marchandise sans en retenir une partie pour eux ».
[64] L'Ami de l'Ordre – Journal des Basses-Alpes – 29 novembre 1866.

« Dans les montagnes des Basses-Alpes, les graines de vers à soie, généralement saines et très recherchées dans diverses contrées, où elles sont connues sous le nom de graines des Alpes. (...) Les travaux de MM. LAUGIER et de MONVAL rendent des services réels à notre industrie de la soie. Comme M. RAIBAUD-L'ANGE, qui les a précédé dans cette voie féconde, ils n'ont pas hésité à se consacrer entièrement à cette oeuvre pénible et difficile, aussi périlleuse pour leur santé que pour leur fortune ».
[65] Observations sur les nombreux petits grainages de vers à soie par sélection, faits par MM. LAUGIER et MONVAL, à Oraison (B-A) par GUERIN-MENEVILLE – Paris – La Maison Rustique – 1872 (communiqué par M. René CARTIER, Paillerols).

Les petits élevages, malgré la maladie, sont assez prospères dans le département et surtout aux Mées.

« Enfin, cette année, tous les propriétaires des Mées surtout et des villages voisins, tels que Dabisse, Oraison etc... ont entrepris des éducations, qui vont généralement très bien, dont beaucoup de vers étaient aux bruyères quand j'ai visité le pays, et qui promettent, pour l'année prochaine, une grande abondance de grainées saines. Aux Mées principalement les éducateurs ont mis à éclore plus de graine qu'il ne leur en fallait pour faire consommer leurs feuilles, pensant que la mortalité diminuerait le nombre de leurs vers. Tous ces vers s'étant trouvés dans une santé parfaite, la feuille à bientôt manqué et ils ont été obligés d'en acheter partout et souvent à des distances considérables.

Pendant mon séjour dans cette ville, j'ai vu des centaines de charrettes arrivant de très loin, chargées de feuilles que l'on paie jusqu'a 5 et 6 francs le quintal (de 40 Kg) et que l'on va chercher à 10 lieues à la ronde.

J'ai appris de M. ARNOUX, adjoint aux Mées, qu'on estime qu'il y aura dans cette commune seulement, plus de 400 quintaux de cocons (16 à 20 000 kg) de race de pays.

La récolte est la même avec les graines faites à la Ferme-Ecole de Paillerols et par les soins si intelligents de Mme RAIBAUD-L'ANGE qui a bien voulu me donner à ce sujet les explications les plus positives et les plus savantes en l'absence de M. RAIBAUD-L'ANGE en voyage pour quelques jours
 ».
[66] GUERIN-MENEVILLE dans L'Ami de l'Ordre– Journal des Basses-Alpes – 14 juin 1866.

La Commune des Mées à cette époque, avec les travaux de PASTEUR est la commune du département la plus engagée dans l'expérimentation des nouvelles méthodes de grainage. ARNOUX relate au ministre les expériences en cours à Paillerols. Le Préfet à son tour s'informe de ces derniers travaux.

« Tout ce que propose M. ARNOUX est connu et mis en pratique. Depuis les derniers rapports de M. PASTEUR, non seulement le gouvernement a distribué gratuitement plusieurs microscopes aux comices agricoles, mais il y a bon nombre d'éducateurs qui se sont pourvus de cet instrument et savent s'en servir. Avec le microscope on est maître de la maladie régnante, connue sous le nom de gatine, pébrine, ou maladie des corpuscules. Les essais précoces pratiqués dans tout le département séricicole ne donnent de bonnes indications que sur la maladie des corpuscules. On arrive par ce moyen aux mêmes résultats qu'à l'aide du microscope, mais avec beaucoup moins d'avantages. L'essai précoce est long, tardif et coûteux. L'essai au microscope se fait rapidement sans frais et à l'époque même de la ponte et permet ainsi de faire des sélections utiles et de confectionner de la bonne graine. Tandis que par l'essai précoce la graine mauvaise doit être jetée ce qui arrive rarement.

Quand M. ARNOUX a fait sa communication à Monsieur le Ministre, les dernières expériences de M. PASTEUR n'étaient pas encore connues et publiées. Depuis lors l'épuration de la graine est entrée dans une nouvelle voie d'où pourra sortir la régénération de la sériciculture avec le seul concours moral du gouvernement
 ».
[67] Lettre de Henri RAIBAUD-L'ANGE au Préfet des Basses-Alpes, 30 octobre 1868. A.D. 13 M art 15.

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MADAME RAIBAUD-L'ANGE

Il est important de ne pas oublier Mme RAIBAUD-L'ANGE, qui était elle aussi, passionnée par les vers a soie.

Si nous n'évoquons que Henri RAIBAUD-L'ANGE, il faut savoir qu'elle était toujours présente à ses côtés et qu'elle le secondait activement en matière de sériciculture.

Elle supervisait les éducations et le grainage. Elle dirigeait personnellement des élevages expérimentaux dans des magnaneries qu'elle avait installées dans les étages même du château de Paillerols. Elle jouissait d'une compétence reconnue. Elle correspond avec des spécialistes comme GUERIN-MENEVILLE.

« Lors de votre dernière visite à Paillerols, l'éducation de nos vers à soie touchait à sa fin. Les résultats en ont été aussi beaux que nous pensions l'espérer (...)

Suivant vos conseils, nous avons donné un peu plus d'extension à notre grainage cette année (...)

Nous nous étions procuré, comme d'ordinaire, des cocons de la montagne, chez de petites éducations isolées et surveillées avec soin. Très peu de maladie; une vigueur remarquable, ce qui, pour moi est le meilleur indice 
»
[68] Lettre de Henri RAIBAUD-L'ANGE à M. GUERIN-MENEVILLE – Fin de l'année 1866. Cité dans Observations sur les nombreux petits grainages de vers à soie par sélection, faits par MM. LAUGIER et MONVAL, à Oraison (B-A) par GUERIN-MENEVILLE – Paris – La Maison Rustique – 1872

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LES MEILLEURES ANNÉES DE PRODUCTION DE COCONS

Nous voilà dans les meilleures années séricicoles aux Mées. En 1868 on compte 200 éleveurs de petite éducation, 4 de grande éducation et 30 éducateurs produisent de la graine. Les mûriers ont été plantés un peu partout en bordure des champs, des chemins il y a même quelques vergers de mûriers. Il est déclaré 20 000 mûriers sur le territoire des Mées en 1868.

La production de cocons et le nombre d'éleveurs vont encore augmenter, en 1870, la bonne année (pour les vers à soie, seulement) 300 éleveurs fournissent leur lot de cocons. Il y a à cette époque, dans la commune des Mées 2 150 habitants, les familles d'alors pouvant comporter en moyenne huit personnes, très rares doivent être les maisons sans vers à soie. Chaque maison met quelques canisses en élevage, pas seulement bien sûr chez les cultivateurs, mais aussi chez les artisans, les petits commerçants. L'épouse, les grands parents, les enfants s'occupent de cet élevage installé suivant son importance et la place que l'on possède, dans la cuisine, une chambre ou un coin de remise aménagé en magnanière. Les élevages rendent assez bien, car ils sont de petite importance. On disait volontiers : « petite magnanerie, grande filature » et aussi la sélection de la graine porte ses fruits.

« Presque aucune éducation n'a péri grâce au microscope. Tous les propriétaires qui ont pris 15, 20, 30 ou 40 onces de graines font faire plusieurs petites éducations d'une, deux ou trois onces au plus. On n'a élevé jusqu'ici que le Jaune des Alpes et de Perpignan. A peu près tous les cocons récoltés dans la commune sont vendus aux filatures, ceux qu'on fait grainer sont tirés d'ailleurs, on va en chercher j'usqu'à 60 kilomètres et plus dans la montagne des Alpes. Les graines ordinaires se vendent 10, 12, 14, 16 francs et celles cellulaires 25 à 30 francs. Depuis deux ans les grainages se multiplient partout et les ventes nont beaucoup plus difficiles ».
[69] Note du Maire des Mées le 10 juillet 1874 - A.D. 13 M art 16.

A Paillerols, pour 1877 RAIBAUD-L'ANGE mentionne:
« 45 onces de graines sont élevées à moitié par de petits propriétaires du voisinage, nous fournissons la feuille et la graine eux la main-d'œuvre et partageons les produits ».
[70] A.D. 13 M art 4.

Après ces quelques années de forte production (1870-71-72) celle-ci va se stabiliser bon an mal an, à environ 8 000 kg de cocons. Cela va durer jusqu'en 1907, à partir de là, la production va baisser lentement.

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LA PRODUCTION DE GRAINES

Depuis les travaux de PASTEUR, RAIBAUD-L'ANGE, ARNOUX des Mées et LAUGIER d'Oraison, avaient fait des émules autour d'eux. Le canton va se spécialiser dans la production de graines.

Ces graines ont une grande renommée. En 1887, encore une année de record, pour la graine cette fois, les Mées livrent la moitié de la production départementale : 100.000 onces produites aux Mées, 202.519 pour le département. Dans l'ensemble, pendant ces quelques années de la fin du XIXe siècle, la commune livre le quart de la production départementale.

La quantité de cocons employée au grainage est assez considérable car il faut environ un kilo de cocons frais pour préparer trois onces (de 25 g) de graine.

En 1895, le ministre de l'Agriculture, demande au préfet des Basses-Alpes de lui indiquer les graineurs du département. Le préfet lui fournit « la liste des maisons les plus importantes et les plus honorables de notre département qui s'occupent du grainage des vers à soie et se livrent au commerce d'exportation ».
Il s'agit de :

-        ZIGLIOLI Frères à Digne
-        GALFARD et PERRIER à Oraison
-        A. LAUGIER et Cie à Oraison
-        SIAUD et EYDOUX à Oraison
-        JUGY Paul aux Mées
-        RAIBAUD-L'ANGE et GORDE aux Mées
-        MANUEL Eugène aux Mées
-        RICHARD Appolinaire aux Mées
-        CHABRIER Fortuné à Peyruis
-        REYMOND Jean-Baptiste à Peyruis

Les producteurs de graines du canton des Mées y tiennent une place prépondérante. Les graineurs locaux fournissent la graine dans des villages éloignés, où les élevages sont peu importants et rachètent les cocons, pour la reproduction. « Dans la commune de Thoard les éducateurs ne s'occupent pas du grainage, ils reçoivent les graines mises en incubation des graineurs des Mées et leurs produits sont assurés d'avance ».
[71] Note du Maire de Thoard, juillet 1888 - A.D. 13 M art 16.

« Personne ici ne fait grainer, tous prennent les graines chez des personnes soit des Mées ou de Sisteron et le prix des cocons est assuré d'avance à condition de réussite complète ».
[72] Note du Maire de Revest des Brousses, juillet 1888 - A.D. 13 M art 16.

« Les sériciculteurs du Castellet se procurent la graine des vers à soie, à Oraison ou au Plan des Mées. Cette graine leur est donnée par les sériciculteurs qui se livrent à l'éducation des papillons vers à soie à la condition expresse que les producteurs du Castellet leur vendront leurs cocons ».
[73] Note du Maire du Castellet, juillet 1888 - A.D. 13 M art 16.

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LE DEBUT DU DECLIN

La France depuis 1853 voyait baisser sa production de cocons. Dans les Basses-Alpes, nous n'avons pas suivi le même chemin que les départements gros producteurs, puisque notre production maximale se situe en 1886, époque où la production nationale avait déjà bien baissée.

De la soie arrive de l'étranger à des prix faibles et les cocons ne rapportent plus. Des pétitions circulent et sont signées par les sériciculteurs.

« C'est que par le fait d'un régime néfaste tout l'équilibre de l'industrie de la soie est désormais rompu au seul profit des marchands lyonnais dont l'aveugle et insatiable avidité ne s'est appliquée qu'à l'avilissement excessif de la matière première (…)

Tant que le prix des cocons frais ne sera point maintenu au-dessus de 4 francs le kilo, les élevages de vers à soie n'offrant aucune chance de rémunération, continueront à être délaissés (…)

Peut-on admettre qu'on nous sacrifie aux intérêts de quelques centaines de fabricants de tissus 
».
[74] Pétition du Syndicat Général des Sériciculteurs de France aux membres du Sénat et de la Chambre des Députés – 1888 - A.D. 13 M art 16.

Aux Mées le Conseil Municipal soutient cette démarche « Qu'il soit appliqué à l'entrée des soies et cotons étrangers de toutes provenances, un droit de douane suffisant pour relever le prix des cocons indigènes au dessus de quatre francs le kilo, chiffre minimum reconnu nécessaire pour empêcher l'industrie agricole de l'élevage des vers à soie de disparaître entièrement ».
[75] Délibération du Conseil Municipal des Mées – Séance du 27 mai 1888 - A.D. 13 M art 16.

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DISTRIBUTION DE PRIMES

Alors pour aider un peu ces sériciculteurs, l'Etat parle de leur donner une prime à la production de cocons.

« Le Conseil Municipal des Mées estime que la prime de 25 centimes proposée pour les cocons français est tout à fait insuffisante et que pour faire revivre cette industrie qui est près de succomber, le seul moyen serait de frapper les soies et les cocons étrangers d'un droit de douane suffisant ».
[76] Délibération du Conseil Municipal des Mées – Séance du 26 avril 1891 - A.D. 13 M art 16.

Et effectivement en 1892 pour stimuler les producteurs, l'Etat va allouer des primes aux éducateurs, mais quand l'Etat commence à donner des primes à un secteur, ce n'est pas un signe de bonne santé pour ce secteur.

Ces primes, sont de 0,50 francs, en 1892, par kg de cocons, mais pour les obtenir, il faut se plier à un certain nombre de contraintes administratives. Il faut déclarer le nombre d'onces de graines mise en incubation au plus tard le 1er Mai, déclarer le nombre de tables ou claies en service quand les vers filent leur cocon, il pourra même y avoir éventuellement, la visite d'un contrôleur. Puis un jour précis est fixé pour la pesée officielle des cocons en présence du maire et d'une partie du Conseil Municipal…

« Le maire devra autant que possible confier le soin de la pesée à des peseurs assermentés, la chose sera réalisable dans les communes où se tiennent les marchés. Si aucun peseur ne réside dans la commune, il confiera le soin des pesées à une personne sure, telle que le garde-champêtre, l'instituteur, où le secrétaire de la mairie »
[77] Circulaire pour le règlement des pesées - A.D. 13 M art 15.

Toutes ces formalités nécessaires à l'obtention des primes rebutent les éleveurs.

La sériciculture est en bien mauvaise posture et les primes n'y changent pas grand chose. Les primes ne sont en fait que des bouées que l'on jette aux naufragés quand le bateau coule.

« Aujourd'hui, lorsque les éducateurs de vers à soie se plaignent de l'avilissement des prix, on leur dit:
- De quoi vous plaignez-vous ? N'avez-vous pas la prime ?
La vérité est, cependant, que cette prime, insignifiante, pour ne pas dire ridicule, n'empêche pas les sériciculteurs de se ruiner. (...)

Dans tous les départements où se fait l'élevage des vers à soie l'on se préoccupe vivement des mesures à prendre pour opérer le relèvement de la sériciculture, dont le régime des primes appliqué depuis 5 ans a été impuissant à enrayer la décadence. (...)

Laisser les choses en cet état, ce serait, à brève échéance la ruine totale de l'industrie séricicole dans notre département et dans toute la France
 ».
[78] Dans l'Agriculteur Bas-Alpin du 26 septembre 1896.

Des "récompenses" sont distribuées pour encourager la sériciculture. « Des récompenses seront accordées dans le département des Basses-Alpes, aux agriculteurs qui présenteront en 1893 les magnaneries les mieux tenues et suivront les meilleures méthodes d'élevage et de grainage ».
[79] Arrêté du Ministre de l'Agriculture du 17 janvier 1893 - A.D. 13 M art 17.

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LA STATION SERICICOLE DE MANOSQUE

Balance de précision

Balance de précision pour le pesage des cocons lors de la sélection selon BRANDI - 1901

Les ateliers de grainage, qui sont beaucoup moins touchés par la crise, car ils produisent de la graine pour exporter, vont essayer d'obtenir des races donnant davantage de soie, notamment à la station séricicole de Manosque fondée en 1893 qui « a pour but la sélection des variétés indigènes et exotiques de vers à soie et l'étude des produits des croisements des différentes varié-tés entre-elles. Les variétés élevées dans les Basses-Alpes sont fort méritantes, on ne saurait le contester, si par la sélection ou les croisements on arrivait à obtenir une variété nouvelle capable de donner une plus grande somme de produits, ce serait rendre un véritable service à la sériciculture française et la placer dans des conditions plus favorables pour lutter contre la concurrence étrangère ».
[80] Lettre de DUBOUGER, Professeur départemental d'Agriculture – 1895 - A.D. 13 M art 18.

D. BRANDI, le directeur de cette station séricicole de Manosque définit dans un petit ouvrage sa méthode de sélection.
[81] « Instructions pratiques sur la sélection rationnelle des vers à soie » DEMONTOY et DEJUSSIEU, Imprimeurs, Manosque – 1901.

Les cocons étant ouverts, on enlève la chrysalide, on pèse très précisément la coque vide, et on sélectionne les chrysalides des coques les plus lourdes, c'est à dire ayant le plus de soie.

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LE CONTROLE OFFICIEL DES GRAINAGES

Mais dès le début du XXe siècle, la condition des graineurs va se détériorer. En 1907 il est crée en France le contrôle officiel des grainages de vers à soie. Les graines exportées sont soumises à des contrôles et à des droits de douane destinés à freiner l'entrée de ces graines françaises à l'étranger, notamment en Bulgarie, en Russie et en Turquie.

« Il y a lieu de chercher, sans retard, à améliorer la situation d'une industrie qui va sans cesse périclitant ».
[82] Lettre de Joseph REINACH, député des Basses-Alpes à M. le Ministre de l'Agriculture du 10 janvier 1907 – sur l'exportation des graines de soie en Bulgarie, Russie et Turquie.

« La production et l'exportation des graines de vers a soie se trouve actuellement menacée dans son existence même par la création d'un service de contrôle que l'Etat veut imposer à cette industrie, tandis que pour ne pas succomber elle a besoin de la liberté, qui, jusqu'a présent ne lui avait pas fait défaut.(…)

Rien ne justifie cette mesure : les faits sont là pour le prouver, et il est de notoriété publique que ce sont les graineurs français qui en appliquant les premiers le système PASTEUR ont pendant de longues années valu à notre pays la suprématie au point de vue de la production et de la sélection des races de cocons les plus robustes et les plus exemptes de tous principes des maladies héréditaires. Espérons encore qu'un éclair de bon sens viendra faire disparaître cette mesure que rien ne justifie et qui si elle était définitivement adoptée serait la mort sans phrase d'une industrie pourtant si digne, à tous les points de vue, de la sollicitude et des encouragements des pouvoirs publics
 ».
[83] Circulaire de Marius GALFARD, Graineur à Oraison, Vice-Président du Syndicat professionnel des producteurs et exportateurs de graines de vers à soie en 1907 - A.D. 13 M art 15.

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LA SOIE ARTIFICIELLE

C'est vrai que la sériciculture va de mal en pis. Voilà que les textiles artificiels font leur apparition et la lutte devient plus difficile.

« Comme vous le savez ce textile (la soie artificielle) continue de se vendre sous le nom de soie tout court et fait à la soie véritable une dure concurrence. N'êtes vous pas d'avis qu'il faut obliger les marchands d'étoffe en soie articielle de toujours faire suivre le mot soie du qualificatif artificielle afin qu'il ne puisse pas y avoir de confusion voulue ou non avec la soie véritable ?

C'est là une duperie qui doit sans plus de retard cesser, dans l'intérêt de tous ceux qui, d'une manière ou de l'autre, travaillent pour aboutir à la production de l'étoffe de soie provenant de l'insecte.

Il y a là une tromperie flagrante sur la qualité de la marchandise
 ».
[84] Lettre de Marius GALFARD, Graineur à Oraison, à M. SAVIN, Sériciculteur graineur aux Mées (Archives familiales de M. Jacques SAVIN – Les Mées).


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LES PETITS ELEVAGES FAMILIAUX

Seuls les petits élevages sont rentables, la dépopulation commence à se percevoir dans les Basses-Alpes, la main d'œuvre devient plus chère et par contre le prix des cocons baisse : en 1909 un kilo de cocons vaut 3 F 50 en 1912 il ne vaut plus que 2 F 90.

« L'élevage des vers à soie est surtout une industrie familiale et ce sont incontestablement les petites éducations qui laissent les bénéfices les plus élevés, environ les trois quarts du produit brut, Si l'on n'a pas recours à la main d'œuvre étrangère ou à l'achat de la feuille ».
[85] Notice sur l'industrie séricicole – Rapport du Préfet au Conseil Général des Basses-Alpes – Deuxième session ordinaire de 1913 – CHAPSOUL – DIGNE – 1913.

A Dabisse, l'atelier de grainage RAIBAUD-L'ANGE et GORDE a fermé ses portes vers 1900, Henri RAIBAUD-L'ANGE étant décédé en 1895 son entreprise ne lui à pas survécu longtemps.

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LA MACHINE DE LÉON GRANIER

L'avenir des vers à soie ne parait pas très prometteur, pourtant, à Oraison, à l'Ecole d'Agriculture départementale, il y a Léon GRANIER, professeur de sériciculture, qui croit à un renouveau de cette industrie, il enseigne cette science avec passion.
Il pense que les délitements sont trop espacés (en pratique les magnaniers délitent à chaque mue) il faudrait déliter chaque jour. Ainsi on élimine sans tarder les vers malsains, les restes de feuille et les excréments, qui, sans cela, stagnent sur les claies et favorisent les maladies.

Déjà la main d'œuvre est chère, alors Léon GRANIER invente et met au point un ingénieux dispositif permettant des délitages assez rapides et aisés.

Cet appareillage, composé d'un châssis, supportant les claies d'élevages, formées chacune d'une toile sans fin enroulée sur deux tambours, et à l'aide d'un système, tout de même assez complexe, de filet que l'on déroule au-dessus des claies d'élevage, permet en actionnant judicieusement les tambours aux extrémités du châssis, d'amener la feuille fraîche, de débarrasser les vieilles litières, cela presque rien qu'en tournant des manivelles...

Mais cette invention qui a eu ses quelques moments de gloire, n'arrivera pas à s'imposer.
[86] Le Larousse Agricole de 1924 fait une description détaillée de la technique et des expériences de Léon GRANIER.

S'il économise la main d'œuvre, un tel appareillage demande une mise de fonds de départ importante, capital que les petits et moyens producteurs ne peuvent pas se permettre d'investir.

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DES GRAINEURS PARALLÈLES

Aux Mées, à Oraison, les ateliers de grainages résistaient tant bien que mal à la crise, certains avaient du mal semble-t-il à contrôler la pureté de leur cocons. « Il faut tenir compte d'un usage en pratique dans le sud du département qui tend, de la part de chaque éducateur, à faire lui-même une petite quantité de graines par l'élevage de quelques vers et à la mettre en incubation l'année suivante en même temps que celles qu'il achète au graineur. Cette pratique, ne constitue évidemment pas une fraude, au point de vue des primes, c'est toutefois un préjudice causé au graineur non seulement en temps que graine non vendue par lui, mais surtout en ce que la graine produite n'a pas été soumise à l'examen microscopique et peut ne pas être indemne de maladies, qu'elle communique ensuite à tous les élèves. Il parait difficile de réagir contre cette pratique plus spécialement utilisée par la femme de l'éducateur et souvent à l'insu de ce dernier ».
[87] Note de M. EYDOUX Sériciculteur graineur à Oraison du 3 octobre 1912 - A.D. 13 M art 16.

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UN CONCOURS NATIONAL

En 1913 pour stimuler les sériciculteurs, un concours national est lancé. Trente six cantons des départements séricicoles sont retenus pour concourir, dans les Basses-Alpes ce sont les cantons de Forcalquier et de Manosque. « Une prime et un diplôme seront décernés aux agriculteurs sériciculteurs graineurs qui présenteront les mûriers les mieux soignés, les locaux les mieux aménagés pour l'élevage des vers à soie ou pour le grainage »
[88] Affiche du concours de 1913 - A.D. 13 M art 17.

La production communale va de 1910 à 1929 osciller entre 5000 et 6000 kg de cocons, avec bien sûr une année creuse : 1915 la première récolte des années de guerre.

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LES PESÉES OFFICIELLES

Les cocons après leur récolte sont donc pesés officiellement pour l'obtention des primes.

« Hier j'ai assisté aux pesées faites de onze heures à midi. L'adjoint et un conseiller municipal étaient présents. Les boîtes ayant contenu les graines ont été immédiatement détruites »
[89] Note du receveur ambulant GOUJON – Les Mées, 2 juillet 1911 - A.D. 13 M art 16.

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LE TRAVAIL À L'ATELIER JUGY

Après cette pesée les cocons sont acheminés vers le négociant, ou l'acheteur. Aux Mées vers 1914-1915 c'était principalement JUGY qui achetait les récoltes. Les cocons destinés au filage étaient triés par des ouvrières, afin de séparer les cocons doubles et d'enlever les tachés, les abîmés. Ces ouvrières trieuses de chez JUGY travaillaient le matin de 6h à 12h avec une pause à 7h30 pour déjeuner et l'après-midi de 13h à 18h avec une pause à 16h pour goûter, ceci pour un salaire de 25 sous par jour.

Ces cocons étaient encore une fois examinés par "les repasseuses" qui contrôlaient l'état parfait de ces cocons avant le départ pour la filature, ces "repasseuses" gagnaient 5 sous de plus par jour. Ce travail de triage se faisait dans la bonne humeur et la joie d'après les souvenirs que nous avons recueillis. Les ouvrières avaient même composé une chanson dont malheureusement nous ne pouvons vous donner que les paroles

« Commençons donc l'histoire du chantier du Moulin,
Ayant des filles charmantes venant de grand matin,
Commençant la besogne avec beaucoup d'entrain,
N'étant jamais moroses, chantant de gais refrains.

A leurs chansons se mêle l'écho des grands rochers,
Curieusement s'arrête le regard étranger,
Aussi sommes-nous fières de nos beaux Pénitents,
Le chantier faisant face, ensemble très charmant.

Mais ce qui nous contente, c'est ce beau samedi,
Quand le patron s'avance la bourse bien garnie,
Comme chacun rapporte d'un air très réjoui,
Sa toute petite somme, quel beau samedi
 ».

On disait "le chantier du Moulin" car le triage se faisait dans les bâtiments du moulin à blé et à huile qui appartenait à JUGY et situé juste sous les rochers.

JUGY avait également un atelier de grainage qui sera ensuite repris par une maison italienne avant de cesser complètement vers 1927-1930.

Les conditions de travail étaient pénibles dans ces ateliers de grainage où l'on s'occupait de sélectionner les cocons mâles et femelles, préparer les filanes, suspendre ces filanes, à la sortie des papillons, surveiller les accouplements, répartir les femelles fécondées sur des toiles portant des numéros, enlever les femelles ayant pondu, en broyer l'abdomen dans un petit mortier pour l'observation microscopique, regrouper les graines… Dans les ateliers où se faisaient les accouplements et les pontes régnait une forte et désagréable odeur, ainsi qu'une abondante poussière blanchâtre provenant des écailles des papillons se répandant dans l'atmosphère, aussi il était permis aux ouvrières de disposer d'une demi-heure par jour pour s'aérer à l'air libre.

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LES DERNIERS MOMENTS

En 1925, il y a encore 116 petits sériciculteurs sur la commune des Mées, qui produisent entre 6,6 kg et 203 kg de cocons.

En 1933, huit ans plus tard, il ne reste que 32 producteurs de cocons.

Beaucoup d'ateliers de grainages des Basses-Alpes ont fermé leurs portes : La station séricicole de Manosque s'est arrêtée de fonctionner vers 1921. Un des derniers graineurs du département doit-être J. BREMOND de Sisteron qui en produisait encore en 1937.

Dans plusieurs petites localités se forment des syndicats de sériciculteurs, pour essayer de maintenir cette petite industrie. En 1932 un syndicat est créé aux Pourcelles c'est le "syndicat des Pourcelles et des Trabucs".

Médaille du concours de sériciculture de 1906

Médaille du concours de sériciculture de 1906
(Archives familliales de Jacques SAVIN - Les Mées).

« Le syndicat a pour but l'amélioration et la diffusion des méthodes scientifiques d'élevage des vers à soie, par l'emploi de matériel perfectionné et la mise en pratique de procédés de sélection appropriés visant l'obtention de hauts rendements en cocons de la meilleure qualité destinés à produire des races améliorées, robustes et saines pour la reproduction. Il s'occupera en même temps de la défense des intérêts généraux de ses adhérents au point de vue professionnel ».
[90] Statut du Syndicat des Pourcelles et des Trabucs – 1932 - A.D. 13 M art 18.

Ce sont là les derniers sursauts de la sériciculture avant son agonie. Elle va végéter ainsi encore quelques années, on n'abandonne pas volontiers cette habitude traditionnelle de faire quelques magnans. Elle passe la seconde guerre mondiale à bout de souffle et la faible production de 1940 « sera acquise pour les besoins de la défense nationale »
[91] Lettre du Ministre de l'Agriculture au Préfet des Basses-Alpes du 20 mars 1940 - A.D. 13 M art 15.

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LA FIN D'UNE INDUSTRIE

Plaque de la dernière débaveuse ayant fonctionné
à Dabisse, chez Roger THUMIN vers 1955.
(Archives départementales).

La production communale est quasiment insignifiante, les derniers sériciculteurs ramassent leurs dernières feuilles. Vers 1950-1953 à l'école de Dabisse l'instituteur Robert FRUME aidé de son épouse, met quelques canisses de vers à soie en élevage, les élèves apportant à tour de rôle des sacs de feuilles de mûriers, le bénéfice de cette entreprise permet d'aider au financement d'un voyage en fin d'année scolaire.

Les tout derniers cocons, sont vendus vers 1955. C'en est fini de la sériciculture aux Mées, on a démonté les canisses.

Depuis ce temps là, on n'a plus fait de magnans aux Mées.

Mais il est bon de savoir, lorsqu'on voit un vieux mûrier au bord de la route, ou contre une maison, que si on l'a appelé "l'arbre d'or", ce n'est pas seulement à cause de la couleur de son feuillage d'automne, et que sa présence, à cet endroit, n'est pas fortuite.


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