Les Amis des Mées
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La Durance déchaînée

Dans l'histoire des PONTS DES MÉES qu'a rédigé Michel PERSON, nous percevons bien toute la méfiance et la peur qu'inspirait cette Durance prête à se gonfler rapidement après de fortes pluies, menaçant alors les riverains de ses flots destructeurs.    Voir ce livre

Les inondations du mois de janvier dernier ont encore montré la force de cette rivière. Après son passage dévastateur la désolation des hommes est bien la même en quelque siècle que ce soit.

En ce début d'été 1846, la Durance vient d'emporter la prise d'eau du canal d'arrosage de Dabisse, prise qui se situait alors, sous le hameau de Saint-Michel.

Les hommes vont être confrontés à d'énormes difficultés, proche du découragement, il leur faudra aller puiser dans leurs dernières énergies, pour rétablir le canal et pouvoir arroser leurs jardins et leurs champs en cette période estivale.

Quand le canal fut emporté dans la nuit du 25 au 26 juin (1846) on était en pleine moisson, il fallut attendre quelques jours que le fort de la moisson fut passé. Dans les premiers jours de juillet on fut chercher des travailleurs aux Mées, on ne put en avoir qu'une vingtaine, la moisson, comme je l'ai dit, n'étant pas encore tout à fait terminée. Ce nombre de travailleurs étant loin de satisfaire l'activité que l'on voulut mettre à ce travail. Mr RAIBAUD LANGE cadet (1), accompagné du meunier (2) est allé visiter tous les arrosants du Plan, leur exposer les faits et le priant de se prêter dans pareille circonstance. C'est ce qu'il fut fait, nous avons commencé avec plus de soixante hommes. Il fut décidé que l'on abaisserait le canal, c'était le seul moyen, comme le résultat l'a prouvé. Le travail était gigantesque, mais on avait bonne volonté. On l'entrepris. À la fin de la semaine, on trouva un banc de rocher sur lequel surgissait quantité de sources. On ne put plus creuser. On s'aperçut en outre qu'au fur et à mesure que l'on rabaissait le canal, à cause de la sécheresse, les eaux baissaient aussi. Alors que faire? Tous les arrosants étaient réunis. C'était vers le 12 juillet. Il fut décidé qu'on abandonnerait le projet de rabaisser le canal, qu'on traverserait la propriété du Sieur PICON et qu'on irait prendre l'eau plus loin. On se mit à l'oeuvre. Le canal fut creusé dans les propriétés SILVE et ROLLAND, jusqu'aux abords de celle du dit PICON, quand le conducteur des Ponts et Chaussées nous intima l'ordre de discontinuer, le canal étant trop près de la route (3). Cet ordre était inutile, le lendemain la rivière avait tellement rongé, qu'il n'y avait pas la place pour passer comme on peut encore le voir et même, la partie déjà creusée dans les propriétés SILVE et ROLLAND fut si dégradée qu'elle n'aurait pu soutenir un volume d'eau. La rivière depuis lors s'est arrêtée de ronger sur ce point.

La perplexité et l'embarras de tous les arrosants, car c'est eux qui faisaient et dirigeaient le travail, arriva à son comble. On fit venir des gens experts, le meunier d'Oraison, des Mées, de Malijai, et il fut décidé qu'il n'y avait plus qu'un seul moyen: de revenir à la première idée, approfondir le canal et jusqu'au niveau des eaux. Un banc de rocher avait gêné d'abord on le laissa et on commença le travail en dessous. À la fin de la semaine ce travail fut terminé, le canal fut de niveau avec la rivière, on pensait forcer l'eau avec des cavalets, piquets, c'est la commune qui doit fournir le bois. Il aurait fallu attendre, perdre du temps pour être autorise a couper. Mr RAIBAUD L'ANGE pour montrer toujours plus de bonne volonté, permit aux habitants du Plan de dévaster ses forêts et cela seulement pour leur être utile. Quinze charrettes furent dans sa campagne charger des fagots, d'autres furent couper des chênes entiers pour les cavalets, plusieurs peupliers furent abattus. Le lendemain il y eut enthousiasme général. Il n'y avait plus qu'un effort pour mettre l'eau, chacun s'y prêta et il y avait ce jour là plus de 130 travailleurs. Vers le soir tout fut terminé.

Mais on ne savait pas ce que c'était que lutter contre les eaux de la Durance. Ce travail si pénible à peine terminé fut détruit et emporté par la rivière. Il ne resta que quelques cavalets qui n'étaient plus suffisant pour forcer les eaux à monter dans le canal.

Le découragement fut complet. Une pétition fut faite au préfet, signée par tous les intéressés. Cette pétition fut envoyée le 20 juillet. Il fut encore décidé de rabaisser à nouveau le canal, jusqu'à ce qu'il soit en contrebas de la rivière. On ne perdit pas une minute, on fut chercher des travailleurs et l'on commença ce rude et pénible travail. Pour avoir plus de monde, on fit publier aux Mées, à Oraison et comme ce dernier village est éloigné du lieu du travail on leur offrit le même salaire et la nourriture en sus.

Pendant les dix jours que durèrent ces travaux, il y eut toujours de 60 a 80 hommes presque tous étrangers au Plan, les habitants du Plan fatigués s'étant retirés.

L'eau fut enfin mise dans le canal et chacun put arroser.

Pour comprendre toutes les difficultés que l'on a eu à vaincre, il faut observer que ce creusement a été fait à trois reprises et sur une longueur de 1500 mètres environ, qu'après les premières couches on a trouvé du gravier compact formant souvent poudingue, des pierres, du rocher et de l'eau. Il y a des positions où le fossé à 5 mètres de profondeur, il a fallu abaisser les berges pour pouvoir sortir les matériaux. Il y a eu plus de 3000 mètres cubes de déblais.

Note manuscrite de Henri RAIBAUD L'ANGE
Archives de la Société du Canal du Thor
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(1) Adolphe Frère de Henri RAIBAUD L'ANGE
(2) Ce canal actionnait aussi le moulin à farine de Dabisse
(3) A cette époque la route qui allait des Mées à Dabisse, passait, entre le Vallon St Joseph et St Michel, le long de la Durance, en dessous les fermes des Bourrelles, c'était la route Royale N° 100 (de Montpellier à Digne). Vers 1890, à cause des corrosions de la Durance, elle sera refaite au dessus des fermes des Bourrelles, où elle passe aujourd'hui.

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