Les Amis des Mées
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Drôles d'histoires…
autour de la place…

Les marchés, foires, fêtes se tenaient jusqu'au XIX ème siècle sur la place de l'Eglise, c'était d'ailleurs la seule place aménagée du village. Mais depuis le creusement de la mine (1786) qui avait réduit (sans les annuler) les débordements du Vallon de la Combe, une autre place tendait à s'imposer, c'était derrière le clocher et l'église, le bas de la rue du Vallon de la Combe. Déjà dans la période révolutionnaire, c'est là qu'avait été planté (en 1792) un des arbres de la liberté.
La Place de l'Église vers 1900
La Place de l'Église vers 1900 - cliquer la photo pour agrandir
Le village se développant petit à petit et ayant besoin de place, la municipalité de ces années 1830 envisageait l'aménagement de ce lieu, d'autant que l'hôpital, possesseur d'un terrain à cet endroit, était prêt à le revendre. L'hôpital avait ainsi parmi ses possessions (venant le plus souvent de dons ou de legs de personnes charitables), entre la rue des Auberges et la rue de la boucherie “une maison, écurie, grenier à foin, bergerie et grande basse cour le tout attenant et clos de murs”. Mais ces constructions étaient vétustes et devenaient une charge pour l'hôpital car “il ne se présente jamais de concurrents lorsqu'il est question de l'affermer parce que dans l'état actuel il ne peut être destiné qu'à servir de boucherie (cela signifie ici «abattoir»), une masse de bâtiments aussi considérable et déjà à demi ruinés menace tous les jours l'hôpital d'une dépense qui absorberait tous ses revenus”.

La Commission Administrative de l'hôpital décide en 1827 de mettre cet immeuble en vente. Le service des Ponts et Chaussées a le projet de changer le tracé de la route départementale qui traversait alors le village en passant devant la place de l'Eglise, et empruntait la rue de l'Eglise, la Grand Rue, la 1ère rue du Pont de Gache. Il proposait que la nouvelle route contourne l'église, traverse cet enclos possédé par l'hôpital, rejoigne la Rue Rouguière et la 2ème rue du Pont de Gache.
La Place Neuve vers 1900
La Place Neuve vers 1900 - cliquer la photo pour agrandir
Le 8 janvier 1831 une délibération du Conseil Municipal décide l'acquisition, de la partie non utilisée par la route, de ce terrain de l'hôpital. C'est à partir de là que les choses vont se gâter. Car évidemment, comme toute innovation ou transformation, elle ne fait pas l'unanimité. Il y a les “pour” et les “contre”. Nous avions déjà vu cela en d'autres circonstances et avec encore plus d'acharnement car le chantier était plus important, c'était lors du creusement de la Mine avec les “anti-trou”. Et depuis, l'histoire de la commune est jalonnée de réalisations avec partisans et détracteurs, les uns et les autres toujours aussi peu enclins au dialogue et aux concessions.

Vers la fin de l'année 1831, il y a une enquête “Commodo-Incommodo”, “pour obtenir l'autorisation d'aliéner en faveur de la commune la partie de l'immeuble de la boucherie restante, distraction faite de celle acquise par le département pour la rectification de la route départementale”.

Certains habitants mécontents et opposants à l'agrandissement de la place écrivent au maire. “La plupart de ceux qui ont des observations à faire les eussent volontiers portées à la mairie, mais ils ne consentiront jamais à comparaître devant un magistrat dont ils ignorent la compétence, nous refusons par conséquent de nous soumettre à votre invitation jusqu'à ce que la légalité nous en soit démontrée, nous nous opposons à la création d'une nouvelle place, la regardant comme funeste et dangereuse pour les intérêts de la majorité et si le conseil municipal persiste à voir dans l'établissement d'une place des avantages chimériques nous pensons qu'il est urgent de convoquer tous les citoyens à l'hôtel de ville afin que chacun puisse librement voter sur la question”. De plus ces opposants demandent que cet immeuble soit mis aux enchères car la mairie en donne 2500 francs alors que l'on pourrait en retirer environ 4000 francs. Quelques cinquante signatures suivent cette lettre.

Quelques jours plus tard, le 23 décembre 1831, ces mêmes opposants envoient au Préfet une pétition dans laquelle ils exposent leur mécontentement. “Des réparations de la nécessité la plus absolue sont à faire dans notre commune, les fontaines étant rares chez nous un accroissement d'eau nous est indispensable. Les rues de nos vieux quartiers, rues les plus populeuses, sont dans un état de détérioration complète, il est urgent qu'elles soient promptement restaurées et qu'elles reçoivent enfin les améliorations qui leur ont toujours été refusées et dont elles ne peuvent plus se passer. La partie de notre commune dite Dabisse, réclame aussi l'attention de l'administration de ce pays, elle demande avec justice la création d'un presbytère dans ses murs, cependant nos fonctionnaires municipaux s'occupent de matières privées, d'avantages réels qui soulèvent les clameurs, l'indignation des habitants”. Ils ajoutent aussi que le village n'a nul besoin de cette place nouvelle vu “que les places ne manquaient pas ici pour les marchés, nous en avons deux. L'une au centre de la ville, l'autre se trouve devant la cathédrale. Ces deux places suffisent largement à nos besoins de sorte qu'une troisième nous serait inutile”.

Le maire, M. Esmieu, éprouvé par toutes ces objections et pour expliquer ses agissements écrit au préfet le 24 décembre 1831 en s'indignant de cette pétition. “L'ignorance profonde des pétitionnaires pour toute législation, l'inconvenance, la grossièreté même des expressions, tout cela vous fera juger de l'importance de cette pétition. Je vous prie de l'examiner avec toute la maturité et l'attention dont vous êtes capable. Ne voulant rien prendre sur moi-même ma tâche devient tous les jours plus difficile, des contradictions de toutes espèces s'élèvent à chaque instant, mon patriotisme commence a s'émousser. Je crains bien de ne pas tarder à être obligé de donner ma démission, ce serait à regret, mais l'ingratitude de quelques uns de mes administrés me forcerait à cette retraite”.

Les partisans, pour soutenir le maire, envoient à leur tour, le 27 décentre 1831 une pétition au préfet où ils expliquent que les détracteurs “ont été induits en erreur, on a dit aux habitants du Plan que c'était une dépense en faveur des habitants de la ville à laquelle ils contribuaient et dont ils ne retireraient aucun profit, on a dit aux cultivateurs de la ville que l'argent qu'on avait employé à la confection de cette place aurait été employé sans cela à faire payer leurs rues et à leur procurer de l'eau, enfin dans la pétition qu'ils vous ont présenté, ils ont dit que l'intérêt des pauvres était sacrifié...”
La Place de l'É,glise vers 1900
La Place de l'É,glise vers 1900 - cliquer la photo pour agrandir

Le lendemain 28 décembre, le maire M. ESMIEU écœuré, dépité, fatigué par ces histoires et parce que “des placards menaçants et incendiaires ont été placés sur la porte de ma maison dans la nuit de dimanche 26 de ce mois”, écrit à nouveau au préfet. 'Cette ville est divisée en deux camps: les uns se prononcent ouvertement pour la place, ils sont connus sous la désignation des commodo, l'amour du bien public les dirige. Je recommande leur pétition à votre sagesse et à votre philanthropie, les autres, appelés les incommodo ne veulent ni de place ni de marché, accoutumés toute leur vie à écorcher les malheureux, ils seraient bien fâchés que le pauvre ne trouva sur une place publique une hémine (environ 10 kg) de blé, l'égoïsme le plus infâme et souvent l'usure la plus atroce président à tous leurs actes, voilà les hommes que nous avons à combattre, ils sont dangereux parce que rien ne leur coûte pour parvenir à leur fin, la masse du peuple est pour nous, elle a senti que nous travaillons dans ses intérêts...” Et à la fin de sa lettre il demande au préfet que lorsque cette affaire sera terminée de lui donner un successeur.

Finalement les esprits semblent se calmer. En 1832 la municipalité achète le terrain et le maire ESMIEU, en accord avec ce qu'il avait annoncé au préfet, sera remplacé par Edouard Adolphe CANTEL.

Si les incommodo, assagis, ont été obligés d'accepter de fait la création de la place, une autre polémique va naître. Lorsque la place neuve sera réalisée, la municipalité envisage d'y transporter les foires et les marchés qui ont lieu jusqu'à lors sur la place de l'Eglise. Très intéressé par cette annonce, Joseph FABRE, aubergiste dans le secteur de la Place Neuve, voit là une chance pour son commerce, et, généreux, il promet le 8 janvier 1832 de donner 500 frs à l'hôpital si la place est faite. Au cours de l'année 1833, la route départementale est rectifiée, la place est réalisée et les foires sont installées à la place neuve.

Tout devrait aller pour le mieux. Hélas non. Là bas, à la Place de l'Eglise, il y a les JAUME, père et fils, qui tiennent un café restaurant, et eux n'apprécient pas du tout ce changement. Ils écrivent leur mécontentement au préfet. “De temps immémorial la vente des blés et autres grains avait lieu les jours de foire sur la place dite de l'Eglise, mais depuis la dernière foire quelques membres de l'autorité municipale ont fait transférer la vente des dits objets sur la nouvelle place établie dans la commune. Ce changement porte aux exposants un préjudice notable attendu qu'ils possèdent sur la Place de l'Eglise une maison servant de calé et de restaurant qui se trouve considérablement dépréciée. L'innovation dont il s'agit n'aurait dû être ordonnée qu'après une enquête de commodo et incommodo pour respecter les droits.

L'emplacement nouveau n'est pas favorable à le tenue d'une foire parce qu'il n'est pas ombragé et qu'il est traversé par la route départementale qui pourrait se trouver encombrée les jours de foire.”

Et la foire se tient à nouveau Place de l'Eglise. C'est qu'alors cela ne fait plus les affaires de Joseph FABRE, qui le 2 ou 3 août 1834 écrit au préfet, “Les conseillers municipaux d'alors me le promirent (de changer la foire de place), ce fut sur leur parole même que je me décidais entièrement à faire un don d'un capital de 500 frs à l'hospice, parce que mon auberge située sur le lieu ne pouvait qu'y gagner. Qu'est-il arrivé? Le marché s'est tenu deux ou trois fois sur cette place, mais le conseil actuel indisposé de mon dernier vote qui ne fut acquis à aucun de ses membres, m'a privé de cet avantage.” Et même, afin de donner plus de poids à sa lettre, et soucieux du bon devenir spirituel de ses concitoyens, il mentionne dans celle-ci “on devait y établir (sur la place neuve) le marché pour ne plus troubler les fidèles dans leurs prières.”

Le maire CANTEL, justifie ce re-changement au préfet dans une lettre qu'il lui adresse le 7 août 1834. “Le Sieur FABRE aubergiste aux Mées voulait obtenir que le marché se tienne sur la place neuve où se trouve situé sa maison. Il nous dit que le conseil municipal lui avait fait cette promesse lorsqu'il s'engagea pour un capital de 500 frs en faveur de l'hospice... Quand aux jours de foire, la place du blé a toujours été devant l'église, cette place est très spacieuse et bien ombragée, tandis que la place neuve est très petite et coupée en diagonale par la route départementale. On avait voulu essayer d'y faire mettre les marchands de blé mais ceux-ci s y trouvent fort mal.”

Pour mettre un terme à toutes ces distensions, le 12 août 1834, le conseil municipal délibère. “Le changement que l'administration municipale avait cru devoir faire sur la tenue des foires, en transportant la vente des blés de la Place de l'Eglise à la Place Neuve, le conseil considérant que la Place Neuve serait moins commode et pas assez espacieuse pour la vente des blés, émet le vœux que cette vente les jours de foire continue d'avoir lieu à la Place de l'Eglise.”
La Place Neuve vers 1900
La Place Neuve vers 1900 - cliquer la photo pour agrandir
En 1870 la Place Neuve sera encore agrandie en prenant une partie du jardin du collège. Par une délibération du Conseil Municipal du 27 avril 1913 la Place Neuve est appelée Place de la République.

Cet article a été réalisé à partir de documents des archives départementales 1-X-58 et 1-X-59.

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